En juin 2021, huit agents fiscaux sénégalais basés au centre fiscal de Pikine, la deuxième plus grande ville du pays, ont généré plus de 500 fiches d’information détaillées sur la taxe foncière en seulement quatre semaines. Les fiches d’information contenaient les coordonnées SIG, les identifiants cadastraux, les caractéristiques des biens, la valeur locative, les détails d’identification des propriétaires et même des photos.

Des agents fiscaux procèdent à un recensement des taxes foncières à Ngor-Almadies, au Sénégal.

Ces fiches d’information diffèrent nettement avec les piles de fiches d’information manuscrites qui pourrait rester accumulées pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en attendant d’être examinées manuellement une par une par des inspecteurs des impôts déjà très occupés par les opérations précédentes de recensement des taxes foncières.

Le recensement en cours des taxes foncières est réalisé grâce à un nouveau logiciel de gestion des taxes foncières développé ensemble par l’administration fiscale sénégalaise, notre équipe de recherche et le Groupe Idyal, un développeur de logiciels local.

Le nouveau logiciel est doté d’un composant Android permettant la collecte de données sur le terrain à l’aide de tablettes, et d’un composant Web permettant la validation des informations et l’édition des notifications relatives à la taxe foncière et à la taxe sur les ordures ménagères.

Collaboration avec un développeur informatique local

Dans le cadre du partenariat entre notre équipe de recherche et l’administration fiscale nationale sénégalaise visant à évaluer à titre expérimental un nouveau système de fiscalité foncière dans la région de Dakar, les priorités ont été de sélectionner une entreprise informatique locale, qui pourrait travailler étroitement avec l’administration fiscale sur le long terme, et d’exiger que l’ensemble du code source (le code écrit par les développeurs pour assembler les composants Android et Web de l’application) soit partagé avec l’administration, afin d’éviter tout « verrouillage » qui pourrait lui être préjudiciable.

En effet, quelques années avant le début de ce projet, l’administration fiscale sénégalaise avait engagé une société étrangère pour développer une application aux objectifs similaires. Mais suite à une réforme en 2012 qui a introduit un système national d’identifiants cadastraux uniques, l’application ne pouvait être mise à jour pour y inclure cette caractéristique clé sans un nouveau contrat coûteux avec la société étrangère. L’application ne pouvait non plus être facilement ajustée pour refléter les changements dans la législation fiscale. Pour prévenir cette situation, la nouvelle application permet à l’administrateur d’ajuster les taux d’imposition et les méthodes d’évaluation en fonction des changements potentiels à venir.

Le processus de développement a été mené de manière collaborative entre l’équipe de recherche, l’administration fiscale et le développeur (le financement initial du projet a été assuré par Economic Development and Institutions, tandis que le processus de développement a reçu un soutien à long terme de la part de l’ICTD).

Des sessions de travail ont été régulièrement organisées, réunissant des praticiens de l’administration, des développeurs et l’équipe de recherche afin de convenir des fonctionnalités détaillées que doit permettre le logiciel. Les variables des formulaires de recensement ont été directement inspirées des informations disponibles sur les formulaires en papier préexistants, déjà connu des praticiens. De plus, alors qu’auparavant les différents centres fiscaux avaient chacun leurs propres habitudes, les étapes exactes des processus d’identification, d’enregistrement et de taxation des propriétés ont été harmonisées afin que le logiciel puisse fonctionner de la même manière dans tout le pays.

Dès que les premières versions de l’application ont été mises à disposition, un protocole d’essai intensif en aller-retour a été mis en place. Plus important encore, le personnel de l’administration fiscale a été impliqué très tôt dans les essais. Des séances de pratique au bureau et sur le terrain ont été réalisées avec un nombre restreint de praticiens issus de divers centres fiscaux de la région de Dakar, au cours desquelles l’équipe de recherche recueillait les commentaires, les suggestions, et listait les bugs détectés. Cela est essentiel pour que l’adoption du nouvel outil numérique soit un succès.

Figure 1: Illustration of the Android and Web components of the newly developed software for property tax management
Figure 1: Le composant Android permet de mener des activités de recensement de la taxe foncière à l’aide d’une tablette, avec des identifiants cadastraux préchargées (à gauche). Pour chaque propriété, l’application permet de saisir les informations la concernant, son propriétaire et sa valeur locative (à droite).

Fonctionnalités du logiciel

Le logiciel permet de recenser les taxes foncières sur le terrain à partir des informations cadastrales, de collecter à la fois des données et des images (application Android), et de calculer les obligations fiscales, de gérer la base de données des contribuables et de produire des notifications fiscales avec des informations détaillées géolocalisées (voir la figure 1).

L’harmonisation des informations relatives aux adresses et l’ajout des coordonnées SIG et des identifiants cadastraux à chaque facture de taxe foncière est une amélioration majeure rendue possible grâce au système numérique. Auparavant, le nombre de notifications fiscales considérées comme non valides par les agents du Trésor était estimé à environ 30 %, car les informations relatives à l’adresse ne permettaient pas d’identifier la propriété.

Leçons clés :

Notre travail a abouti à plusieurs enseignements clés et utiles pour ceux qui entreprennent des projets similaires.

  • L’élaboration et la spécification du processus prennent du temps : la définition d’un protocole de taxation foncière modernisé, validé par les différents services concernés, et suffisamment clair pour être traduit en logiciel prend un temps considérable. Dans notre cas, plus d’une dizaine de séances de travail d’une demi-journée entre départements se sont avérées nécessaires. La leçon que nous en avons tirée est qu’il serait plus avantageux d’avancer considérablement cette étape du projet, avant même de conclure un contrat et de travailler avec le développeur de logiciels.
  • Employer un ou deux gestionnaires de produit à temps plein : impliquer au moins un chef de projet à temps plein dans le processus de développement du logiciel permettra de mieux rationaliser le développement du projet. Par exemple, un praticien au sein de l’administration fiscale et un autre membre de l’équipe de recherche ont effectué tous les allers-retours entre le développeur du logiciel et l’administration tout au long du processus de développement.
  • Effectuer des essais inclusifs à tous les stades du développement : nous nous sommes rendu compte qu’il était très utile de permettre aux praticiens de tous les services concernés par la fiscalité foncière de pouvoir régulièrement essayer le logiciel et fournir des commentaires. Cela a facilité l’adoption du logiciel et son utilisation dès qu’il est devenu fonctionnel.
  • Partenariat avec des développeurs du secteur privé : collaborer avec une société informatique locale a présenté de gros avantages, notamment la connaissance du contexte, la proximité des bureaux de l’administration permettant des réunions quotidiennes, une forte motivation à fournir un produit de haute qualité au gouvernement comme moyen d’assurer de futures collaborations — mais aussi quelques inconvénients. À plusieurs reprises, la société a été confrontée à de fortes contraintes de liquidités en raison de retards de paiement de la part d’autres clients, ce qui l’a obligée à interrompre le développement. La leçon tirée ici serait de définir de manière plus précise les questions de calendrier, les conséquences des retards et les obligations du client (par exemple, convenir d’un modèle pour les commentaires des tests) dans les contrats initiaux.
Photo of software for property tax reform in Dakar, Senegal
Figure 2 : Illustration du composant Web du logiciel nouvellement développé pour la gestion de la fiscalité foncière. Le composant Web permet de gérer les activités de recensement en assignant des zones géographiques aux agents de terrain (à gauche), et enfin, de valider les informations collectées sur le terrain et de produire les notifications de taxes correspondantes (à droite).

Le numérique est la clé de la réforme de la fiscalité foncière

Le numérique est sans aucun doute le moyen à privilégier pour les administrations qui souhaitent tirer parti de la fiscalité foncière, en particulier dans les contextes où les systèmes de cadastre, d’adresses et de titres de propriété sont incomplets, comme c’est le cas dans la grande majorité des villes du continent africain.

Toutefois, le passage aux processus numériques nécessite des investissements en amont, non seulement sous forme de financement, mais aussi de compétences et de temps de la main-d’œuvre, de sorte que les avantages en termes de recettes fiscales ne soient perceptibles peut-être après la ou les premières années.

Par conséquent, il peut être plus judicieux, dans certains contextes, que l’administration ou le gouvernement local commence par rendre numérique un aspect du processus, avant de passer à un programme de réforme plus ambitieux.

Pour en savoir plus, veuillez lire ce résumé de l’ICTD sur le renforcement des systèmes informatiques pour la réforme de la fiscalité foncière.

This blog is also available in English

Justine Knebelmann

Justine Knebelmann est candidate au doctorat à l'École d'Economie de Paris. Elle sera associée postdoctorale J-PAL avec DigiFI au MIT à l'automne 2021. Justine étudie la capacité fiscale dans les pays en développement. Elle collabore étroitement avec les administrations fiscales en Afrique subsaharienne depuis 2015, et a géré un programme de numérisation des taxes foncières au Sénégal. Ses intérêts de recherche portent sur le développement, les finances publiques, l'histoire économique et l'économie urbaine.

Victor Pouliquen

Dr. Victor Pouliquen est chercheur postdoctoral en économie au Nuffield College et au département d'économie de l'université d'Oxford. Ses recherches portent sur les procédés par lesquels les politiques publiques affectent les institutions formelles et informelles dans les pays en développement.

Bassirou Sarr

Bassirou Sarr est candidat au doctorat en économie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Ses recherches portent sur l’économie du développement, les finances publiques et l’économie appliquée. Bassirou est titulaire d’un Master en analyse et économie politique de l’École d’économie de Paris-EHESS et d’une licence en mathématiques du Carleton College.