Depuis mai 2022, le Ghana applique une taxe fixée à 1,5 % de la valeur des transferts électroniques. L’objectif principal est d’améliorer la collecte de revenues fiscales à travers un secteur en pleine expansion. Cependant, plusieurs exonérations sont incluses à la réforme. Une exonération journalière et cumulative fixée à 100 cedis ghanéens est prévue pour les transferts par mobile money et 20.000 cedis pour les envois depuis un compte bancaire. Soulignons également que les paiements électroniques vers les entreprises enregistrées auprès de l’administration fiscale sont exonérés de la taxe. Le gouvernement a récemment démarré la seconde phase du e-levy qui lance une plateforme digitale de collecte des recettes engendrées par la taxe.

Deux mois après l’application du e-levy, plusieurs questions essentielles se posent:

  • Quels sont ses effets immédiats ?
  • Comment ont réagi les différentes parties prenantes ?
  • Quelles sont les défaillances et comment les combler ?
  • Sur quels axes orienter la recherche ?

Pour répondre à ces questions, l’équipe de DIGITAX a organisé un séminaire en juin avec une discussion autour de du e-levy, sa mise en œuvre et les premiers changements de comportement. L’équipe a également rencontré à Accra, du 4 au 9 juillet 2022, plusieurs parties prenantes : le Ghana Chamber of Telecommunications, la société civile, les agents de mobile money, des membres du secteur informel et les chercheurs.

Nouvelle taxe, nouveaux comportements

« Lorsque je transfère de l’argent depuis un de mes comptes vers un autre, je ne paie pas de taxe. Cependant qu’en est-il des envois que je fais à ma femme et mes enfants pour les frais d’hôpitaux, d’éducation ou la dépense quotidienne? » – un représentant de la société civile.

Le webinaire et nos entretiens ont mis en évidence de plusieurs manières dont elle semble déjà affecter les différents acteurs du mobile money.

  • Après l’application de la taxe, les utilisateurs ont cédé à la panique en retirant systématiquement leurs avoirs de leurs comptes mobile money.
  • La taxe a également modifié les habitudes de transfert d’argent de certains utilisateurs qui font de plus en plus recours aux canaux traditionnels comme le cash. Le retour à la monnaie physique soulève des préoccupations quant à l’augmentation de la criminalité et des agressions, en particulier dans le secteur informel.
  • Le e-levy a augmenté le coût de la vie car plusieurs utilisateurs font toujours recours au mobile money pour les dépenses quotidiennes et les services essentiels comme la santé et l’éducation.
  • La réduction de l’utilisation des services de mobile money par les consommateurs et les vendeurs se répercute sur le secteur privé du mobile money : les opérateurs soulignent une baisse des transactions en valeurs et en volumes depuis l’application de la taxe.
  • Les agents de mobile money ont considérablement souffert de la baisse d’utilisation des services de mobile money. En effet, leurs commissions dépendent positivement des valeurs et des volumes de leurs transactions. De plus la panique, la dissidence et l’incertitude associées à la taxe ont conduit 4000 agents de mobile money à cesser leur activité durant le mois d’avril.
  • D’autre part, des preuves anecdotiques montrent que l’exonération des paiements aux commerces formels encourage les entreprises ayant précédemment évité les impôts à s’inscrire auprès du Ghana Revenue Authority (GRA). Cela pourrait générer plus de recettes fiscales, à mesure qu’un plus grand nombre d’entreprises se formalise, et permettrait d’atteindre l’objectif du e-levy visant à élargir l’assiette fiscale. Toutefois, il faut plus de temps, de données et d’autres recherches pour bien comprendre les effets connexes sur les recettes publiques et le civisme fiscal.
  • Les panélistes du webinaire ont signalé un autre changement de comportement découlant du e-levy, mais cette fois-ci du gouvernement. À leur avis, ce dernier semble prendre des mesures sans précédent pour promouvoir la transparence à l’égard des recettes provenant du e-levy – notamment à travers des rapports trimestriels et semestriels produits respectivement par la GRA et le Ministère des Finances.

Bien que certains changements de comportement soient découlent d’une perception commune selon laquelle la taxe électronique serait trop élevée, et d’une pratique tout aussi populaire qui considère que toute dépense supplémentaire pouvant être évitée doit être évitée, plusieurs de ses effets – comme les retraits systématiques d’espèces – sont le résultat de malentendus généraux au sujet de la taxe. Cela fut particulièrement observé pendant la période précédant la mise en œuvre. La confusion concerne également l’exonération des paiements aux commerçants pour laquelle plusieurs personnes ignorent les conditions d’application.

« Aux grands maux les grands remèdes » : naviguer autour du e-levy.

« Bientôt, tous les utilisateurs de mobile money deviendront des agents de mobile money ! » – un représentant de la société civile.

Malgré la possibilité de retourner au cash, le mobile money demeure l’un des moyens les plus pratiques et sécurisés d’effectuer des transactions. Ainsi les utilisateurs ont trouvé plusieurs stratégies pour « adoucir » la charge de la taxe, ou pour l’éviter complètement. En guise d’exemple, certaines personnes ont mentionné l’étalement des transferts sur plusieurs jours pour ne pas excéder la limite de 100 cedis. Une autre option populaire est de profiter des exonérations de transferts d’agent pour éviter les frais de transfert d’utilisateur à utilisateur et les taxes. Ainsi, les utilisateurs envoient de l’argent d’un compte d’agent à un autre compte d’agent. Les utilisateurs demandent également aux agents d’envoyer de l’argent en leur nom à partir de leur compte (d’agent) au portefeuille d’un autre utilisateur, ce qui est illégal : le gouvernement a pris des mesures décisives pour freiner cette pratique. En outre, certains utilisateurs envisagent d’acquérir des cartes SIM d’agent pour économiser du temps, de l’argent, et aussi éviter de marchander avec les agents sur les frais de transferts illégaux. Pour les agents de mobile money, l’objectif principal est de maximiser l’utilisation de leurs services. Pour certains ceci inclut le transfert illégal d’un agent à un autre utilisateur cité ci-dessus. Les agents s’engagent également dans l’éducation pour sensibiliser les consommateurs et accroître l’utilisation des services de mobile money.

Que proposent les parties prenantes ?

Pour limiter les effets négatifs du e-levy sur l’offre et la demande des services financiers, les parties prenantes suggèrent plusieurs solutions.

  • La plus citée reste une réduction du taux de la taxe jugé trop élevé. La plupart des parties prenantes proposent un taux de 0,5 %. Ce dernier a été perçu comme plus juste, car il est inférieur aux frais de 0,75 % facturés par les opérateurs de mobile money qui fournissent les services.
  • Une taxe sur les frais facturés par les opérateurs de mobile money plutôt que sur la valeur du transfert semble être plus juste pour les utilisateurs.
  • Réduire le taux d’imposition à mesure que la valeur des transactions augmente pour encourager et récompenser les transactions importantes, ou encore appliquer un plafond au-delà duquel le montant de la taxe demeure inchangé.
  • Une augmentation du seuil d’exonération journalier pour les transactions de mobile money qui pourrait être plus proche du seuil de 20.000 cedis appliqué aux transferts bancaires.
  • Faire une affectation des revenus du e-levy de manière similaire aux revenus du Ghana National Health Insurance Scheme. Les ghanéens semblent avoir une volonté à payer les impôts, ils exigent néanmoins un investissement judicieux des recettes collectées, à travers un service public efficient, et une meilleure redevabilité du gouvernement.

Les incitations restent un puissant outil pour augmenter la conformité fiscale. Le e-levy ne constitue pas une exception à la règle puisque les travailleurs du secteur informel semblent catégoriques : la fourniture par le gouvernement de systèmes de protection sociale, de retraite ou d’assainissement en échange des impôts payés encouragerait la plupart des travailleurs du secteur informel à se conformer volontiers et à payer les impôts dus.

Et pour la suite ?

Le webinaire et les discussions avec les parties prenantes ont également permis à l’équipe de DIGITAX de souligner plusieurs axes de recherche vers lesquelles s’orienter.

  • Estimer son impact sur différentes parties prenantes — notamment les opérateurs de mobile money, les utilisateurs, les entreprises et les agents.
  • Effectuer une étude comparative entre les entreprises des secteurs formel et informel. L’un des objectifs du e-levy est d’inclure le secteur formel à l’assiette fiscale, par une approche de la carotte et du bâton, en exonérant les paiements aux vendeurs enregistrés.
  • Étudier l’impact du e-levy sur les populations les plus vulnérables. Les personnes à mobilité réduite, les femmes, les étudiants et les travailleurs informels semblent plus exposés aux effets négatifs de la taxe.
  • Étudier l’impact du e-levy au-delà de ses effets sur l’utilisation du mobile money. Cela comprend l’analyse des taux de criminalité par rapport au retour au cash ainsi que les perceptions par rapport à la sécurité et au bien-être.
  • Mettre en évidence les déterminants de l’acceptation du e-levy, sachant que les facteurs économiques, politiques, sociaux ou démographiques peuvent influencer les comportements.
  • Informer les contribuables sur les éléments clés de l’impôt — notamment l’utilisation des recettes collectées pour différents services publics — et mesurer comment la diffusion d’information améliore les perceptions et le niveau d’acceptation de la taxe.
  • Analyser comment le système relativement fluide d’application du e-levy peut permettre une fourniture plus efficace et efficiente de services publics.
  • Estimer les effets possibles de plusieurs scénarii de réforme fiscale afin de mieux guider la future prise de décision.

Ce blog relate principalement les premières opinions et recommandations des parties prenantes sur le nouveau e-levy. Dans les prochains mois, l’équipe de DIGITAX travaillera sur certaines de ces questions de recherche pertinentes et urgentes. Restez connectés !

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Awa Diouf

Awa est une Chercheuse Postdoctorale avec le programme DIGITAX de l'ICTD. Elle est titulaire d’un doctorat de l’Université Clermont Auvergne en France, et de l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), un groupe de réflexion basé au Sénégal. Elle est une économiste dont les travaux portent sur les finances publiques dans les pays en développement et en transition.

Fabrizio Santoro

Dr Fabrizio Santoro est basé à l’Institute of Development Studies, où il travaille en tant que chargé de recherche des études empiriques sur la conformité fiscale au Rwanda, en Eswatini et en Ouganda, ainsi que sur la fiscalité informelle en Somalie. Is est le chercheur principal pour le deuxieme composant du programme DIGITAX de l'ICTD.

Mary Abounabhan

Mary Abounabhan est titulaire d’un Master en mondialisation, commerce et développement de l’Institute of Development Studies (IDS). Ses recherches portent sur l’économie morale de la taxation des médias sociaux au Liban. Son passage à l’IDS et son expérience du secteur privé dans les PME l’ont incitée à poursuivre ses recherches sur la fiscalité en tant que chargée de recherche au sein du programme DIGITAX.