Suite à l’introduction d’une taxe sur les transactions d’argent mobile en 2022, les agents d’argent mobile au Cameroun ont connu une baisse de leurs revenus dans un contexte de concurrence féroce, de prolifération des fraudes et des escroqueries, et de défis en matière de gestion des liquidités.
Les agents jouent un rôle crucial dans la prestation de services d’argent mobile au Cameroun. Ils servent d’intermédiaires entre les prestataires de services d’argent mobile et les titulaires de comptes d’argent mobile, aidant ces derniers dans le processus d’enregistrement, ainsi qu’en créditant ou en débitant leurs comptes.
Leur présence à grande échelle est essentielle pour parvenir à l’inclusion financière, en particulier dans les zones mal desservies par les banques et les autres prestataires de services financiers traditionnels.
Notre récente enquête sur les agents d’argent mobile au Cameroun, réalisée 15 mois après l’introduction d’une taxe sur les transactions d’argent mobile, a révélé qu’ils peinent à augmenter les revenus qu’ils tirent du secteur de l’argent mobile dans un contexte de concurrence féroce, de prolifération des fraudes et des escroqueries, et de problèmes de gestion des liquidités.
Principaux défis
Nous avons interrogé 807 agents actifs dans la région du Centre du Cameroun, qui comprend la capitale, Yaoundé.
- Les agents de Yaoundé ont indiqué que les pannes de réseau constituaient le principal obstacle à leurs activités.
- Les agents opérant en dehors de Yaoundé, y compris dans les zones rurales, ont principalement exprimé des inquiétudes concernant la fraude et les escroqueries.
- La satisfaction des besoins des clients, la gestion des liquidités et la réponse aux problèmes de sécurité ont été signalées comme des défis quotidiens importants.
- La présence d’un trop grand nombre de concurrents et les problèmes de sécurité représentaient leurs principales préoccupations liées à l’environnement des affaires.
La taxe sur l’argent mobile affecte les agents et les utilisateurs
A l’instar d’autres pays africains, le Cameroun a introduit une taxe de 0,2% sur les transferts et les retraits d’argent mobile, à compter du 1er janvier 2022.
Bien que le gouvernement camerounais considère cette mesure comme un moyen d’élargir sa base fiscale et de diversifier ses sources de revenus, cette taxe a suscité des inquiétudes quant à ses effets négatifs potentiels sur l’inclusion financière. La taxe devrait affecter non seulement les personnes qui utilisent les services d’argent mobile, mais aussi les agents de ce secteur.
Les revenus d’un agent proviennent principalement des commissions perçues sur chaque transaction. Il reçoit en moyenne 40 à 45% de la commission, les 55 à 60% restants étant partagés entre l’opérateur de réseau mobile (MTN ou Orange), les banques partenaires et le gestionnaire de l’agent (le « superagent »).
Les résultats de notre enquête révèlent que la plupart des agents ont une perception négative de la nouvelle taxe, citant son effet néfaste sur leurs clients et leur activité dans le secteur de l’argent mobile.
En outre, plus de la moitié (près de six agents sur dix) mettent en doute l’équité et l’impartialité de la taxe.
Comment la taxe sur l’argent mobile affecte-t-elle les performances des agents ?
- La taxe sur l’argent mobile augmente les coûts de transaction, ce qui peut réduire la demande de services d’argent mobile et, par conséquent, le nombre de transactions.
- Les taxes peuvent affecter la viabilité de l’activité d’un agent, en particulier pour les agents confrontés à des coûts d’exploitation élevés et percevant des commissions à peine supérieures à leur seuil de rentabilité. Dans ce cas, ils ont besoin d’un plus grand nombre de transactions pour atteindre leur seuil de rentabilité.
- L’impact négatif de la taxe sur l’argent mobile peut être plus important dans les zones où la concurrence entre agents est forte.
- Les agents peuvent être amenés à adopter des stratégies commerciales spécifiques pour maintenir leurs niveaux de revenus avant impôt.
Les craintes des agents quant à une baisse de leurs revenus sont étayées par des données
Outre les informations tirées des résultats de notre enquête, nous avons examiné les commissions et les transactions de milliers d’agents de la région du Centre à partir des bases de données des gestionnaires d’agents. Comme décrit dans notre document de travail intitulé Taxe sur l’argent mobile au Cameroun : les effets sur la performance des agents et la pérennité des recettes, nous avons trouvé des preuves empiriques montrant une baisse des revenus des agents après l’introduction de la taxe. C’est notamment le cas pour les agents opérant à Yaoundé, la capitale. Par ailleurs, les agents dont les activités étaient potentiellement plus exposées à la taxe en raison de la structure régressive des frais de réseau ont connu une baisse plus importante de leur commission. Il s’agit d’agents qui effectuaient un plus grand nombre de transactions ainsi que des transactions de sommes plus importantes avant la taxe, qui sont en activité depuis au moins trois ans et qui opèrent à partir de zones commerciales locales plutôt qu’à partir de stands ou de kiosques disposés le long des routes.
Comment les agents ont-ils réagi à l’introduction de la taxe sur l’argent mobile ?
S’il est vrai que la majorité des agents actifs interrogés ont indiqué qu’ils n’avaient pas changé leur façon de travailler depuis l’entrée en vigueur de la taxe sur l’argent mobile, à Yaoundé, près de 25% ont déclaré avoir développé leurs activités d’argent mobile, principalement en levant des capitaux. En dehors de Yaoundé, y compris dans les zones rurales, environ 17% des agents demandaient aux clients de payer des frais supplémentaires (non réglementaires) par transaction (voir figure ci-dessous).
Stratégies mises en œuvre par les agents d’argent mobile (AM) depuis l’entrée en vigueur de la taxe en janvier 2022
Stratégies de croissance des agents
Pour développer leurs activités d’argent mobile à court terme, la plupart des agents de Yaoundé ont déclaré qu’ils augmentaient leurs capacités de liquidité afin de répondre à la demande.
La principale priorité des agents opérant dans les communautés périphériques en dehors de Yaoundé est d’améliorer la communication et la visibilité.
Dans les deux cas, les agents ont également mentionné qu’attirer de nouveaux clients constituait une stratégie de croissance alternative.
Seuls quelques agents actifs (8%) ont indiqué qu’ils pourraient quitter le secteur de l’argent mobile à moyen terme, se voyant travailler dans les secteurs du commerce, de la restauration ou de l’agriculture.
Pourquoi les agents quittent- ils le secteur de l’argent mobile
Nous avons également interrogé 150 anciens agents d’argent mobile de la région du Centre, dont 60% avaient cessé leurs activités après 2022.
Les résultats révèlent que la perspective de rentabilité est un facteur déterminant pour se lancer dans la prestation de services d’argent mobile ou l’abandonner.
Alors que pour la majorité (60%), l’obtention d’un revenu supplémentaire était la principale raison pour laquelle ils sont devenus agents, le fait de ne pas percevoir une commission suffisante est le motif le plus souvent invoqué pour justifier leur retrait du secteur de l’argent mobile.
Selon eux, l’incapacité à générer des commissions suffisantes est due aux facteurs suivants :
- des frais d’exploitation élevés (21,95%) ;
- un nombre excessif de concurrents (19,55%) ;
- une baisse du nombre de transactions (19,55%) ;
- la taxe sur l’argent mobile (17,07%).
Les anciens agents ont également mentionné les chocs domestiques (tels que les accidents, les maladies et les décès), les escroqueries et les agressions comme des motifs majeurs de leur cessation d’activité.
Ils travaillent désormais dans des épiceries, des boutiques, des restaurants ou des bars, gèrent de petites entreprises ou poursuivent des études.
Seuls 35% des anciens agents envisagent encore de revenir dans le secteur de l’argent mobile, tandis qu’un agent sur quatre se déclare indécis.
Développer le secteur de l’argent mobile au Cameroun
Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer l’impact à long terme de la taxe sur l’argent mobile sur les opérations commerciales des agents, nos analyses indiquent une baisse de leurs revenus quelques mois après l’introduction de la taxe sur l’argent mobile. Alors qu’un taux d’imposition uniforme de 0,2% est appliqué sur les transferts et les retraits d’argent, la structure régressive des frais de réseau implique que la charge financière supplémentaire supportée par les clients est d’autant plus élevée que les transactions sont importantes. Ainsi, certains agents ont dû faire face à une baisse plus importante de leurs commissions après l’introduction de la taxe.
Dans la mesure où le potentiel de gain est un facteur déterminant pour l’entrée et la sortie des agents du secteur de l’argent mobile, il est crucial pour les décideurs politiques d’évaluer l’effet des taxes sur tous les acteurs clés de l’écosystème de l’argent mobile, y compris les agents qui jouent un rôle important dans la promotion de l’inclusion financière.
La croissance du secteur de l’argent mobile au Cameroun peut être renforcée par une collaboration et une coordination accrues entre les décideurs politiques, les opérateurs de réseaux mobiles et d’autres partenaires et parties prenantes de l’industrie, afin de
- renforcer les mécanismes de recours en cas de fraude et d’escroquerie ;
- former les agents à l’amélioration de la gestion des liquidités ;
- améliorer la couverture et la qualité du réseau ;
- créer un environnement favorable à l’argent mobile, y compris la protection des consommateurs.