Dans de nombreux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (PFR-PRI), le renforcement des capacités de l’État et l’élargissement de l’assiette fiscale sont essentiels à l’amélioration des fonctions du secteur public. La capacité d’un État à gouverner efficacement dépend souvent de sa capacité à rendre la société « lisible », c’est-à-dire à enregistrer et à utiliser systématiquement les informations relatives à sa population et à ses activités. L’infrastructure publique numérique (IPN), dont les systèmes d’identité numérique constituent le cœur – avec le paiement numérique et l’échange de données, offre une opportunité appréciable d’améliorer la capacité de l’État et de stimuler l’administration fiscale. L’identité numérique peut faciliter l’identification des contribuables, rationaliser l’inscription et améliorer le respect des obligations fiscales. Pourtant, si le potentiel de l’identité numérique n’est plus à prouver, les preuves de son impact demeurent limitées et mitigées.
Études de cas : Ghana, Ouganda et Éthiopie
Plusieurs PFR-PRI intègrent actuellement des systèmes d’identification numérique dans leurs administrations fiscales, avec plus ou moins de succès. Au Ghana, l’administration fiscale (GRA) s’est associée à l’autorité nationale d’identification pour remplacer son ancien système de numéro d’identification fiscale (NIF) par le numéro d’identification national (PIN), connu sous le nom de Carte ghanéenne (Ghana Card). Ce changement est intervenu en avril 2021 et a permis à l’administration fiscale d’accéder à la base de données des cartes d’identité. Il a en outre rendu possible l’inscription automatique des personnes atteignant l’âge de 18 ans et ayant un potentiel de génération de revenus. La même stratégie a été adoptée par l’Inde où, depuis juillet 2017, les cartes PAN à usage fiscal sont rattachées au numéro d’identification du système Adhaar.
En Ouganda, en 2022, l’administration fiscale a préféré élaborer une interface NIF instantanée qui se connecte à l’Autorité nationale d’identification et d’enregistrement (NIRA). Ainsi, lorsqu’une personne demande un NIF en ligne, le système récupère les données de la NIRA pour préremplir et authentifier l’enregistrement. Cette méthode permet de réduire les erreurs et d’accélérer l’enregistrement. Contrairement au Ghana, cependant, l’approche ougandaise reste axée sur la demande, à l’initiative du requérant, plutôt que sur une inscription automatique de masse.
En Éthiopie, le Trésor public a intégré l’enregistrement des impôts au système national d’identification numérique, Fayda, en décembre 2023. Le système relie chaque NIF à un numéro Fayda correspondant. Auparavant, les données biométriques étaient utilisées pour l’enregistrement des NIF, mais les coûts élevés de maintenance de ce système ont incité à passer au système Fayda, plus évolutif et financé en partie par des donateurs externes.
Qu’avons-nous appris jusqu’à présent ?
- Elargissement massif de l’assiette fiscale :L’intégration des systèmes d’identité numérique a considérablement augmenté le nombre de contribuables. En Ouganda, 35 % de tous les nouveaux enregistrements en 2022 étaient basés sur des pièces d’identité, tandis qu’au Ghana, le nombre de nouveaux enregistrements a triplé entre avril 2021 et mars 2022. L’identité numérique est un outil efficace pour identifier les contribuables qui, autrement, resteraient en dehors du système fiscal officiel. Le succès de ces réformes réside dans la capacité du système d’identification à relier de manière transparente les individus à leurs obligations fiscales, simplifiant ainsi le processus d’enregistrement pour les nouveaux entrants.
- Inclusion et accessibilité :Il a été démontré que les systèmes d’identité numérique attirent différentes catégories de contribuables par rapport aux processus d’enregistrement manuels traditionnels. Au Ghana et en Ouganda, les personnes s’enregistrant par le biais de l’identité numérique étaient plus susceptibles d’être jeunes, de sexe féminin et d’avoir travaillé auparavant dans le secteur informel. Il semblerait donc que les systèmes d’enregistrement numérique simplifiés réduisent les obstacles à leur utilisation, en particulier pour les groupes qui ont des difficultés à utiliser les processus fiscaux plus traditionnels.
- Qualité des données – un tableau mitigé :Les systèmes d’identité numérique améliorent l’exactitude des données des contribuables en éliminant les doublons intentionnels et en améliorant la qualité de leurs coordonnées. Cependant, les informations sectorielles, cruciales pour une application ciblée de la législation fiscale, ne sont souvent pas disponibles dans les bases de données nationales d’identification. En d’autres termes, même si les systèmes d’identification améliorent la qualité générale des données fiscales, ils ne fournissent pas les données sectorielles détaillées nécessaires à l’administration fiscale. Par ailleurs, dans les deux pays, d’importantes ressources en personnel ont été utilisées pour nettoyer les nouvelles données d’identification, les faire correspondre avec les données existantes et intégrer les nouveaux arrivants.
- Impact sur les recettes fiscales – encore incertain : la recherche sur l’impact fiscal est encore limitée au Ghana et l’analyse de l’impact est toujours en cours en Ouganda. Au Ghana, alors que les contribuables passant du NIF au PIN se sont montrés plus respectueux des règles, les nouveaux entrants ont eu un comportement mitigé, voire pire, en matière de déclaration et de paiement, du moins à court terme. Ces observations semblent indiquer que même si un nombre toujours croissant de personnes sont intégrées dans le système, une administration fiscale efficace nécessite toujours un suivi, une application et un soutien. L’élargissement rapide de l’assiette fiscale peut dépasser la capacité des autorités fiscales à gérer les nouveaux enregistrements, ce qui conduit à une situation où nombre de nouveaux contribuables restent inactifs ou sous-déclarent leurs revenus. Des recherches similaires menées en Afrique du Sud montrent que si les enregistrements de nouvelles entreprises ont augmenté, l’impact sur les recettes a été limité en raison de la persistance du non-respect des règles fiscales par les nouveaux entrants.
Prochaines étapes pour réussir l’intégration de l’identification
Si le Ghana et l’Ouganda fournissent des indications précieuses sur le potentiel des systèmes d’identité numérique pour l’administration fiscale, beaucoup plus d’informations sont nécessaires pour évaluer pleinement leur impact, notamment en Éthiopie, où aucune recherche sur l’enregistrement fiscal basé sur l’identification n’a été menée à ce jour.
Il est également intéressant de noter que les impacts sont assez comparables, que les NIF soient toujours en place mais associés à un numéro d’identification ou qu’ils aient été entièrement remplacés par l’identité numérique. Des schémas similaires dans des contextes différents, comme en Ouganda et au Ghana, laissent supposer que la clé du succès ne réside pas tant dans la technologie elle-même que dans d’autres facteurs cruciaux nécessaires pour exploiter pleinement le potentiel de cette technologie – tels que la capacité à gérer une base de contribuables croissante. Les administrations fiscales doivent s’assurer qu’elles disposent des ressources et de l’infrastructure nécessaires pour contrôler, faire respecter les règles et communiquer efficacement avec les contribuables. Sans cette capacité, l’élargissement de l’assiette fiscale peut déboucher sur un système pléthorique et inefficace dont l’impact sur les recettes est limité. De même, la technologie ne devrait pas être utilisée pour atteindre des objectifs politiques à court terme d’enregistrements massifs qui touchent de manière disproportionnée les petites entreprises, mais plutôt pour se concentrer sur les contribuables à revenus élevés difficiles à atteindre qui sont déjà assujettis à l’impôt. Au-delà de l’administration fiscale, le succès de l’intégration de l’identité numérique dépend en dernière analyse de son adoption universelle, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (PFR-PRI) ayant encore du mal à atteindre une couverture totale.
Alors que l’approche de l’IPN évolue, notre recherche sur l’identité numérique à des fins fiscales contribue au débat international en fournissant des enseignements empiriques qui peuvent également être appliquées à d’autres institutions gouvernementales.
Les auteurs souhaitent remercier Celeste Scarpini pour sa contribution avisée à la rédaction de ce blog.