La promesse de la numérisation a quelque chose de séduisant. Les tableaux de bord, les portails et les applications sont synonymes d’efficacité, de transparence et de modernité. Pour de nombreuses administrations fiscales africaines qui cherchent à augmenter leurs recettes, les outils numériques semblent révolutionnaires.
En effet, les applications fiscales mobiles, les portails de déclaration en ligne et les dispositifs fiscaux électroniques (DFE) ont été adoptés à travers le continent pour améliorer l’efficacité et la conformité. Au Kenya et en Tanzanie, les DFE ont amélioré la visibilité des données et réduit la sous-déclaration de la TVA. Cependant, tout ne s’est pas déroulé sans heurts, ce qui a soulevé une question cruciale : la technologie peut-elle à elle seule remplacer des systèmes robustes et une gestion efficace ?
Les infrastructures publiques numériques intégrées (IPN) peuvent appuyer l’administration fiscale, mais les résultats dépendent de leur mise en œuvre et de leur adoption.
1- Ghana et Ouganda : les identités numériques
Ces deux pays ont utilisé des systèmes d’identité numérique pour élargir le registre fiscal, en particulier en y intégrant les femmes et les jeunes. Cependant, l’enregistrement ne se traduit pas automatiquement par des recettes. De nombreux contribuables restent inactifs, et sans synchronisation en temps réel ni engagement continu, l’intégration seule ne garantit pas des données exploitables ni une administration améliorée.
2- Burkina Faso, Ghana, Rwanda, Tanzanie et Ouganda : les paiements numériques des commerçants
Ces pays ont étendu l’utilisation des paiements numériques aux commerçants, ce qui rend les transactions plus rapides et plus faciles à suivre. Les données sont également prometteuses pour améliorer l’accès au crédit et les processus de connaissance du client (CDC). Cependant, leur adoption reste inégale. Les frais de transaction, les infrastructures limitées et le manque de connaissances, en particulier chez les femmes et les petits commerçants, limitent leur adoption. Plus important encore, même lorsque les paiements sont largement adoptés, ils ne se traduisent par une augmentation des recettes que si les autorités fiscales intègrent activement les données dans les processus de conformité.
Le chaînon manquant : la gestion des risques de conformité
Dans l’ensemble, ces expériences mettent en évidence une leçon essentielle : la numérisation ne peut à elle seule garantir la conformité. La manière dont les administrations utilisent les données est un élément clé.
S’il y a une occasion manquée dans cette vague numérique, c’est bien la gestion des risques de conformité (GRC). La GRC n’est pas seulement une case à cocher, c’est le moteur qui transforme les données numériques en actions significatives. Le Rwanda en est un bon exemple. En s’appuyant sur l’outil d’évaluation diagnostique de l’administration fiscale (TADAT), l’administration fiscale rwandaise a créé un registre centralisé des risques, formé des analystes et intégré la GRC dans le processus décisionnel. Cela s’est traduit par des audits plus ciblés et de meilleurs services aux contribuables.
En un mot, recueillir des données sans GRC revient à installer un système de surveillance sans surveiller les écrans.
Les réformes fiscales numériques ne peuvent à elles seules combler les lacunes structurelles
Les évaluations du TADAT révèlent des lacunes persistantes dans l’administration fiscale que la technologie seule ne peut combler, notamment :
- Des registres fiscaux incomplets : de nombreux registres contiennent des doublons, des coordonnées obsolètes ou omettent les entreprises informelles.
- Des systèmes cloisonnés : les déclarations, les paiements et les enregistrements sont souvent traités séparément, ce qui ralentit l’efficacité. En outre, les données administratives ne circulent souvent pas de manière fluide entre les institutions gouvernementales, ce qui limite leur potentiel en matière de contrôle fiscal.
- Des données sans informations exploitables : les autorités collectent plus d’informations que jamais, mais celles-ci ne sont pas toutes analysées. Sans modèles de risque ni application ciblée, le potentiel de ces données reste sous-exploité.
Ces conclusions ne visent pas à décourager la réforme. Elles soulignent que les outils numériques fonctionnent mieux lorsqu’ils s’appuient sur des fondements institutionnels solides. Les plateformes peuvent renforcer les systèmes qui fonctionnent bien, mais elles ne peuvent remplacer les efforts visant à garantir l’exactitude des données, l’intégration des systèmes et la gestion proactive de la conformité.
Transformer le potentiel en résultats concrets
Les réformes numériques ne peuvent aboutir que si elles s’accompagnent de bases et de stratégies appropriées. Voici les mesures prioritaires que les administrations fiscales africaines peuvent introduire pour que la numérisation se traduise par une meilleure conformité et de meilleurs services :
- Commencer par régler les questions fondamentales. Nettoyer le registre des contribuables, même si cela implique de faire du porte-à-porte ou de vérifier les dossiers à l’aide de données collectées sur le terrain. Parallèlement, combler les lacunes des systèmes d’identification nationale.
- Investir dans les personnes, pas seulement dans les plateformes. Mettre en place une unité dynamique chargée des risques de conformité et former les agents à interpréter les tendances tout en leur donnant les moyens d’agir sur la base des données disponibles.
- Connecter les systèmes existants avant d’en ajouter de nouveaux afin d’éviter les cloisonnements.
Au-delà de la mise en place des bases, voici ce que les responsables fiscaux africains peuvent faire pour tirer parti de la technologie et mettre en place un système fiscal plus intelligent et plus solide :
- Prévoir un budget pour le travail sur la qualité des données et les solutions internes, et pas seulement pour les licences logicielles et les outils prêts à l’emploi.
- Mesurer les performances réelles, au lieu de s’en tenir uniquement à l’adoption des technologies et aux statistiques sur les recettes.
- Impliquer les contribuables dans le processus. Une meilleure communication et un soutien renforcé contribuent grandement à encourager l’utilisation des plateformes numériques.
Élaborer des systèmes fiscaux plus intelligents grâce à l’infrastructure publique numérique
Les mesures ci-dessus reflètent un changement conceptuel plus large en matière de numérisation et ouvrent la voie à la mise en œuvre de l’IPN, un ensemble de couches numériques horizontales et interopérables (identités numériques, paiements numériques et échange de données), conçues pour servir des objectifs sociétaux à grande échelle, y compris l’administration fiscale.
Lorsque les données de base et les systèmes technologiques sont en place, les infrastructures publiques numériques peuvent produire des résultats significatifs. La Tanzanie en est l’illustration : les identités biométriques ont contribué à assainir les registres des contribuables, tandis que les plateformes de paiement gouvernementales ont amélioré la transparence et stimulé la perception des recettes.
Grâce à des fondations solides et des institutions robustes, les infrastructures publiques numériques peuvent véritablement améliorer l’efficacité et la conformité, démontrant par là même le potentiel transformateur des nouvelles technologies.