La semaine dernière, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution historique ouvrant la voie à l’élaboration d’une convention fiscale des Nations Unies. Depuis des décennies, la majorité des pays du Sud qui sont membres des Nations Unies appellent à la création d’un organe fiscal intergouvernemental soutenu par des activistes de la société civile. Ce n’est que maintenant qu’ils ont concrétisé cet appel.

Cette démarche des Nations Unies intervient à un « moment crucial » de la gouvernance fiscale mondiale, au cours duquel il est possible d’assister à des écarts importants vis-à-vis des critères habituels en matière de réforme.

Le rôle actuel des Nations Unies dans la gouvernance fiscale mondiale se limite à un Comité d’experts de 25 personnes nommées par les États, mais qui y participent à titre personnel. Si le Comité est en principe chargé d’accorder « une attention particulière aux pays en développement et aux autres pays en situation particulière, y compris les petits États insulaires et les pays enclavés », sa capacité à faire contrepoids à l’OCDE est entravée par l’absence d’approbation de ses résultats par les gouvernements, un secrétariat beaucoup plus restreint et les récents efforts de l’OCDE pour accueillir les pays à faible revenu (PFR) et leur permettre de participer à ses organes de normalisation sur un « pied d’égalité ».

Ces réalités ont suscité des attentes significatives en matière de réformes de la part de l’OCDE, qui seront dans l’intérêt des PFR. Plutôt que de répondre à ces attentes, l’OCDE a aggravé les inégalités de pouvoir sous-jacents et les divergences de fond. Même si un consensus pourrait être trouvé entre les plus de 100 pays du Cadre inclusif G20/OCDE, cela ne se ferait que sur un fond de complexité déconcertante, de peu de concessions significatives pour les pays du Sud, et d’une énorme pression sur eux.

Les enseignements tirés comme base de la Convention des Nations Unies

Pour tirer les enseignements de cette expérience, il convient de répondre à deux séries de questions importantes.

Premièrement, quels sont les enjeux fiscaux internationaux qui nécessitent une solution multilatérale et pour lesquels une convention des Nations Unies apporterait une plus-value ? Par exemple, la lutte contre l’évasion fiscale n’implique pas nécessairement une coopération multilatérale, car, comme le démontre le projet BEPS, de nombreux de problèmes peuvent être résolus dans le cadre du droit national.

Cette question comporte trois dimensions :

  • l’ampleur – le degré d’adoption d’un nouvel instrument
  • la profondeur – le degré d’ambition du changement proposé
  • le caractère contraignant – l’engagement est-il applicable ? Dans l’affirmative, de quelle manière ?

Dans une certaine mesure, les pays qui plaident en faveur d’un nouvel instrument doivent évaluer ces trois ambitions l’une par rapport à l’autre, surtout s’il devient plus difficile pour les pays puissants d’exercer des pressions sur les pays plus faibles afin d’obtenir un accord. La décision du Groupe africain de faire adopter une résolution à la majorité, plutôt que d’alléger sa position pour parvenir à un consensus, témoigne de sa volonté de privilégier la profondeur et le caractère contraignant par rapport à l’ampleur.

Une deuxième série de questions concerne le rythme et la séquence de l’élaboration des normes fiscales internationales.

Sur la question fondamentale de l’imposition de l’économie numérique, le multilatéralisme mené par l’OCDE a souvent été opposé aux mesures unilatérales adoptées par les pays en dehors de tout consensus international. Pourtant, les innovations multilatérales, régionales, bilatérales et unilatérales interagissent de manière dynamique. Les normes peuvent être appliquées de manière descendante, les pays collaborant d’abord dans la définition des problèmes et dans l’élaboration de solutions par le biais d’institutions internationales, puis les adoptant en tant que lois. Les normes peuvent également être appliquées de manière ascendante, les institutions internationales normalisant les pratiques qui se sont d’abord répandues.

Ce contraste est bien illustré dans deux ajouts récents au Modèle de convention des Nations Unies :

Quels devraient être les objectifs d’une Convention-cadre ?

Une Convention des Nations Unies peut combler trois lacunes majeures dans le contexte actuel.

  1. Inscrire les négociations fiscales multilatérales sur une base plus explicitement politique.

Nos recherches ont révélé que les technocrates chargés de mener les négociations pour le compte des PFR sont désavantagés en raison du manque de soutien politique, en particulier lorsque leurs préférences vont à l’encontre de celles d’États puissants. La plupart des négociations en cours à l’ONU et à l’OCDE sont explicitement ou implicitement techniques. Le Comité d’experts des Nations Unies considère cela comme une volonté délibérée ; alors que dans les organes de l’OCDE, que les négociateurs s’expriment ou non au nom de leurs États membres, ce sont des technocrates qui agissent à une certaine distance de leurs mandants politiques. Lorsque leurs délibérations débordent sur des cadres plus politisés tels que le G20 et le G7, elles sont beaucoup moins inclusives.

Le passage à un organe intergouvernemental impliquera d’autres services gouvernementaux qui n’ont pas l’habitude de travailler sur des questions fiscales. Il s’agit là d’une opportunité pour les PFR de progresser en matière de capacités à négocier, mais cela comporte également le risque que les fonctionnaires ayant une expérience et des connaissances techniques soient mis à l’écart.

  1. Possibilité d’une nouvelle réflexion sur la structure de la coopération multilatérale

L’objectif devrait être une coordination mondiale, mais dans un cadre suffisamment solide pour répondre aux besoins des pays en développement et tenir compte des différences d’approche. Comme le montrent nos recherches sur la prévalence des normes des conventions des Nations Unies dans les pays du Sud, il n’y a jamais eu de consensus en matière de fiscalité internationale, et l’approche actuelle du Comité d’experts est de plus en plus différente de celle de l’OCDE. Le Comité aspire à se positionner au centre d’un consensus mondial, mais un consensus profond, largement accepté et contraignant n’est peut-être pas possible en réalité. C’est notamment le cas, au vu du désir d’une réforme plus radicale exprimé par certains pays du Sud.

Face à cette dynamique, la nouvelle résolution propose une Convention-cadre, un type d’instrument comportant un dénominateur commun plus petit et des engagements largement acceptables, sur lesquels peuvent s’ajouter des protocoles plus ambitieux auxquels les pays adhèrent au cas par cas. Le plus connu de ces engagements est celui sur le changement climatique.

Nos recherches ont clairement montré que certains pays à faible revenu, ainsi que des membres de l’OCDE, se sont investis dans les organes existants de l’OCDE, et qu’une convention des Nations Unies devrait donc s’appuyer sur ces organes et les compléter, plutôt que de les reproduire purement et simplement – comme le fait, par exemple, la Convention des Nations Unies contre la corruption. L’objectif devrait être de permettre à différents groupes de pays ayant une cause commune d’adopter des normes qui répondent à leurs besoins et qui les rendent plus ou moins compatibles avec les autres pays.

  1. Environnement propice aux négociations permettant de surmonter certains des défis auxquels les PFR sont confrontés dans les organismes fiscaux existants

Tout d’abord, les PFR sont susceptibles d’être confortés dans un système des Nations Unies qui a l’habitude de tenir compte des positions des blocs. Ces positions pourraient déboucher sur des protocoles facultatifs ou modifier le contenu universel de la convention-cadre elle-même par le biais d’un vote aligné. Comme il a été mentionné précédemment, l’implication du personnel diplomatique dans les missions des Nations Unies est susceptible de résoudre certains déficits d’expérience et de capacité auxquels les pays sont confrontés dans les organes de l’OCDE. Cela a déjà été démontré lors des négociations sur la Résolution elle-même. La transparence de la procédure permettra de mieux cerner la manière dont tous les pays peuvent influencer les programmes de travail de la Convention et lui donner la légitimité en matière de degré d’implication dont ne jouissent ni les organes actuels de l’ONU ni ceux de l’OCDE.

Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer les efforts de renforcement des capacités qui seront nécessaires pour que les pays à faible revenu puissent bénéficier des institutions et des procédures qui, en principe, leur confèrent une plus grande influence. C’est pour cette raison qu’ils n’ont pas pleinement exploité leur potentiel d’influence sur les résultats dans les organes existants.

En résumé, l’avenir de la coopération internationale en matière fiscale dépend non seulement des évolutions institutionnelles au sein des Nations Unies, mais également de la manière dont les pays pourront en tirer parti.

 

Nous tenons à remercier Mbakiso Magwape et Frederik Heitmuller pour leur contribution à ce blog.  

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Martin Hearson

Dr Martin Hearson travaille sur les politiques de fiscalité des entreprises internationales, et particulièrement les relations entre les pays développés et les pays en développement. Il utilise les sondages, les documents d’archives et les nouvelles bases de données pour étudier les modalités de négociation des accords fiscaux internationaux. Avant de rejoindre l’ICTD, il était membre du département d’économie politique internationale de la London School of Economics, et enseignait l’économie politique et la gouvernance financière mondiale. Il a travaillé pendant 10 ans dans le secteur associatif et continue à collaborer, dans l’essentiel de ses recherches, avec des ONG impliquées dans le développement et des organisations inter-gouvernementales.
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