Après trois semaines d’intenses négociations lors de la deuxième session du Comité d’experts, le projet de mandat d’une Convention-cadre des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale a finalement été adopté par un vote le mois dernier.
Ces négociations ont-elles été fructueuses ? Si oui, à qui profitent-elles ?
De nombreux commentateurs de la société civile ont souligné que très peu de pays ont voté « non » au projet. En effet, des pays qui avaient voté contre la résolution 78/230 de l’année dernière, ou qui s’étaient abstenus, ont voté maintenant en sa faveur (le Costa Rica, le Salvador, le Mexique et le Pérou), tandis que de nombreux pays – l’UE et les pays étroitement liés à elle – se sont abstenus alors qu’ils avaient voté contre. Dans le même temps, la coalition des pays qui soutenaient la résolution ne s’est pas beaucoup élargie. Des commentateurs plus sceptiques notent toutefois que le reste des opposants à la résolution comprenait des puissances économiques importantes comme le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Observations faites dans la salle de réunion
Dans ce blog, j’examine dans un premier temps les principaux accords conclus à New York le mois dernier sur la base de mes propres observations dans la salle de réunion.
Rappelons tout d’abord que les négociations avaient pour but principal d’examiner le rôle des Nations Unies dans la gouvernance fiscale mondiale. La majorité des pays du Sud étaient favorables à l’élargissement du mandat de l’ONU, tandis que de nombreux pays du Nord préféraient un rôle plus restreint.
Tout en soutenant que les pays du Sud ont largement atteint leurs objectifs, j’analyse ensuite comment plusieurs caractéristiques inhérentes au travail à l’ONU, qui ont émergé lors de cette deuxième session, peuvent ou vont jouer en faveur des pays à faible revenu, et je mène une réflexion sur les défis que pourrait rencontrer le processus à l’avenir.
Mandat élargi pour les Nations Unies en matière de fiscalité
Les négociations se sont basées sur un projet de mandat révisé qui était élaboré par le président du Comité après avoir reçu des contributions écrites sur un projet précédent (j’ai comparé cette version avec le mandat final à la fin de la session en utilisant MS Word.
Au début de la session, les représentants du Sud ont accueilli ce projet initial plus favorablement que ceux du Nord. La plupart des demandes de modification provenaient donc de ce dernier groupe de pays. Leur but était de laisser le plus grand nombre possible de questions ouvertes à la négociation dans les années à venir : l’usage de l’expression « pourrait » plutôt que « devrait » était devenu une sorte de slogan. Dans l’ensemble, ils n’ont pas eu beaucoup de succès dans cette démarche.
Le succès le plus marquant de cette deuxième session pour les pays du Sud a sans doute été la définition de l’« imposition des services transfrontaliers dans une économie mondialisée » comme premier sujet de protocole « initial » à traiter parallèlement aux négociations proprement dites de la convention-cadre. Un autre protocole initial (encore à choisir dans une liste) sera également élaboré. En contrepartie, il a été convenu de prolonger le délai prévu pour l’élaboration de la convention et des protocoles initiaux (3 ans au lieu de 2).
Les principes et engagements les plus importants ont été conservés, tels que le principe de l’égalité des droits fiscaux et le principe du respect des priorités, des besoins et des capacités des pays en développement et des pays en situation particulière. Les pays du Sud ont donc réussi à obtenir un mandat élargi pour les négociations futures.
Néanmoins, certaines questions abordées dans les projets de mandat initiaux ont été allégées, notamment l’imposition des personnes fortunées et l’imposition de l’environnement.
Allègement des sujets relatifs à l’imposition de la fortune et aux taxes sur l’environnement
En ce qui concerne les personnes très fortunées, l’accent a été mis sur la fraude et l’évasion fiscales. L’ajout de « dans les États membres concernés » semble réaffirmer la liberté des pays d’agir ou non. Il n’y a donc pas d’engagement en faveur d’une approche coordonnée au niveau international, comme celle proposée par le Brésil, qui assure actuellement la présidence du G20, et par l’économiste Gabriel Zucman.
Il en va de même pour l’engagement en matière d’environnement. Le sujet a été allégé et ramené au niveau des considérations économiques et sociales du développement durable. Ce qui a été convenu pourrait néanmoins servir de base de travail dans ce domaine : le Pakistan, par exemple, a exprimé l’espoir que cet engagement relance les discussions sur les mesures unilatérales comme le Mécanisme d’Ajustement Carbone-Frontière (MACF) de l’UE au sein du forum de l’ONU.
En somme, une réduction d’ambition pourrait être plus décevante pour les acteurs de la société civile ainsi que pour les pays d’Amérique latine et les petits États insulaires que pour le Groupe africain et ses alliés. L’Afrique n’a peut-être pas pour priorité actuelle de poursuivre des projets internationaux ambitieux en matière d’imposition des personnes très fortunées, et certains pays africains ont insisté sur la nécessité d’accorder une place au développement industriel dans la résolution des problèmes liés à l’environnement.
Cela illustre une fois de plus le rôle crucial du Groupe africain dans l’ensemble du processus.
Mener les négociations en matière fiscale à l’ONU : un avantage pour les pays du Sud ?
Outre l’analyse de mon collègue Martin Hearson sur les différences entre le processus du Comité d’experts et d’autres forums internationaux sur la fiscalité (en dehors de l’impact évident du vote à la majorité), la deuxième session a permis d’identifier quelques autres caractéristiques importantes du cadre intergouvernemental de l’ONU.
Premièrement, le fait de mener des négociations à l’ONU signifie que les discussions sur la fiscalité ne sont plus isolées des autres débats de l’Organisation. Par exemple, alors que de nombreux experts fiscaux étaient préoccupés par l’absence de consensus autour de l’expression « flux financiers illicites », l’existence de résolutions antérieures des Nations Unies qui emploient cette expression et d’une définition élaborée par la CNUCED a permis de l’inclure dans le mandat. Comme les précédents instruments des Nations Unies étaient très orientés vers le développement, ce genre de précédents est probablement bénéfique pour les pays du Sud.
Deuxièmement, il est courant de travailler dans le cadre d’alliances, malgré des désaccords sur des questions secondaires. Bien qu’au cours des discussions, les pays appartenant au bloc du Sud ou à des blocs régionaux plus restreints ont parfois exprimé des opinions divergentes, ils se sont cependant soutenus mutuellement au moment du vote final. De la même manière, l’UE a fait preuve de cohésion malgré les désaccords internes signalés. Les pays du Sud ont été plus efficaces dans les négociations de l’OCDE lorsqu’ils ont réussi à négocier en tant que bloc, mais cela reste relativement rare, notamment en raison des pressions diplomatiques exercées sur les négociateurs techniques.
Troisièmement, même si le public est très présent, les négociations qui visent à aboutir à de véritables compromis n’ont pas toujours été transparentes : les sessions dites « informelles » et les négociations bilatérales à l’exclusion des observateurs et du grand public. De toute évidence, le projet de texte a le plus progressé dans ces moments-là. Il reste à voir si cela jouera en faveur ou en défaveur des pays du Sud.
Les défis à venir
Si cette première année de négociations s’est manifestement concentrée sur l’obtention d’un mandat suffisamment élargi pour le processus, les années à venir devront déboucher sur des résultats concrets.
Pour ceux qui soutiennent le processus des Nations Unies, une décision stratégique cruciale sera de déterminer s’il faut se concentrer sur des améliorations progressives du statu quo (ce qui nécessiterait la recherche d’un large consensus avec les pays du Nord) ou s’il faut développer des solutions plus ambitieuses qui aboutiraient probablement à un système évoluant à des rythmes différents, au détriment de l’implication du Nord à chaque étape.
Il convient de noter que cela correspondrait à la manière dont l’OCDE travaillait dans le passé. D’autres pays peuvent encore adhérer ultérieurement à des propositions ambitieuses approuvées par une minorité, peut-être lorsque les circonstances politiques nationales s’y prêteront.
Quel que soit le choix, l’implication d’un plus grand nombre de pays du Sud dans les discussions deviendra de plus en plus importante. S’il ne leur est pas possible d’assister aux réunions de l’ONU, les organisations régionales peuvent jouer un rôle important, en garantissant un processus inclusif d’élaboration d’un programme régional commun. Si la participation d’un petit nombre de pays (Nigeria, Kenya, Ghana, Sénégal à la tête du groupe africain) au nom d’un grand groupe est efficace dans les négociations et utile au débat initial visant à faire progresser les travaux, il faut que les opinions des pays qui ne participent pas encore activement influencent les politiques concrètes qui seront élaborées dans les années à venir.
Enfin, Il est nécessaire d’entamer une discussion sur la façon de concevoir les protocoles relatifs aux questions de fond. Il existe de nombreuses possibilités dans ce sens. Comme je l’ai indiqué lors du dialogue multipartite de la première semaine, les protocoles ne doivent pas nécessairement être identiques aux articles des modèles de conventions fiscales ou à d’autres documents multilatéraux tels que la convention du Pilier Un, les règles du modèle du Pilier Deux ou la norme minimale du CbCR. Les protocoles pourraient plutôt inclure des engagements concernant le moment où il convient d’utiliser des solutions techniques préexistantes, conformément aux principes convenus dans la convention-cadre.
Le mémorandum néerlandais sur la politique en matière de conventions fiscales 2020, qui présente les articles du Modèle des Nations Unies que les Pays-Bas seraient prêts à accepter dans les négociations avec divers groupes de pays (tels que les pays en développement ou les pays les moins avancés), ainsi que l’accord politique autour de la règle d’assujettissement à l’impôt du Pilier Deux, sont des exemples intéressants, plus pour leur format que pour leur contenu précis. De la même manière, un protocole à la Convention-cadre des Nations Unies pourrait préciser mes modalités dans lesquelles les pays devraient accepter une demande de renégociation de certaines dispositions conventionnelles, comme l’imposition des services transfrontaliers.
Dernières réflexions
Pour le moment, le format de l’ONU semble bien fonctionner pour les pays du Sud. Cependant il n’est pas garanti que cela soit le cas lorsque les négociations s’engageront davantage sur des questions de fond. Les mois à venir seront cruciaux pour développer, tester et échanger des idées afin que des propositions plus concrètes puissent émerger avant l’ouverture des négociations prévue au début de 2025.
Note sur le titre de ce blog : Dans son discours de clôture, Ramy Youssef, le président du Comité d’experts, a déclaré : « Je pense que nous sommes parvenus à un résultat qui ne laisse ni gagnants ni perdants, mais je crois sincèrement que le résultat que le Comité a été en mesure d’obtenir fait de nous tous, des États membres et des citoyens du monde que vous représentez collectivement, de véritables gagnants. »
Nous tenons à exprimer notre gratitude envers Martin Hearson et Mbakiso Magwape pour leurs commentaires et leurs contributions.