Il est bien connu que la taxe foncière est le moyen le plus viable, efficace et progressiste pour augmenter les recettes des administrations locales, ayant des répercutions significatives et positives sur les constructions de l’état et la redevabilité publique. Cependant, le recouvrement de la taxe foncière demeure très faible dans les pays en développement, et les recherches effectuées dans ce domaine sont limitées. Pour ces raisons, l’ICTD a décidé d’organiser une journée de discussion en table ronde sur ce sujet le 13 février, dans le but de partager expériences et idées, et d’identifier des pistes fructueuses au vue de futures recherches en collaboration. Environ 40 personnes, représentant des universités, des cabinets d’experts, des autorités des finances publiques, des agences de dons, et des organisations non-gouvernementales, participèrent à cette réunion. La journée fut divisée en cinq parties. Chaque partie aborda une question importante sur comment renforcer le recouvrement de la taxe foncière dans les pays en développement.
Quelles méthodes d’évaluation de biens immobiliers adaptées aux contextes de pays en développement existe-t-il ?
Il existe deux méthodes principales d’évaluation, l’une basée sur la valeur du bien, l’autre sur l’emplacement. Les évaluations basées sur la valeur du bien sont plus précises, cependant elles demandent plus d’experts, de repères sur le marché des échanges, coûtent plus cher, prennent plus de temps et sont plus difficiles à comprendre pour la population. D’autre part, la méthode d’évaluation basée sur l’emplacement est plus facile à expliquer et à mettre en place, mais reste régressive. Par conséquent, un vrai compromis est à faire entre la facilité de mise en place et les soucis d’équités. Paul Fish, un géomètre reconnu de la RDF – Revenue Development Foundation – a introduit un système d’évaluation à base de points, visant à réduire ces compromis. On ajoute des points par caractéristique attrayante du bien immobilier (comme l’accès à une route goudronnée, à un puits, au tout à l’égout ou à l’air conditionné) et on retire des points par caractéristique rébarbative (comme le manque d’accès à l’électricité, un emplacement peu avantageux, un toit ou un mur en mauvaise condition). Cette méthode est plus simpliste que celle basée sur la valeur, mais est plus précise, et par conséquent moins rétrograde que la méthode basée sur l’emplacement.
Samuel Jibao du CERCB au Sierra Leone porta particulièrement notre attention à faire une distinction, lors de la perception de la taxe foncière, entre soit cette dernière est considérée comme un impôt sur les richesses personnelles ou soit un impôt sur les avantages fournis par le gouvernement. Cette différence est cruciale car elle porte des conséquences sur la légitimité de cette taxe. Par exemple, dans les milieux ruraux, où le gouvernement n’a pas fourni de choses comme l’accès à l’électricité et l’eau potable, les citoyens qui ont acquis ces choses par eux-mêmes en creusant un puits ou en achetant un générateur, ont souvent un ressenti d’ injustice si alors le gouvernent leur demande un impôt plus élevé par qu’ils ont ces choses-là sur leur propriété. Ils pensent qu’il serait plus juste d’imposer les biens immobiliers basés sur les avantages disponibles aux alentours, comme l’accès à un centre médical ou à une route goudronnée.
C’est pourquoi lors d’initiatives sur la taxe foncière, il est primordial d’inclure un programme de sensibilisation important. En intéressant les citoyens au travers de programmes radio, des mairies, de panneaux municipaux, de journaux locaux, ou de théâtre de rue, les administrations locales peuvent expliquer alors qu’avec les fonds collectés par les taxes foncières, ils seront en mesure de fournir plus d’avantages, ainsi qu’expliquer et justifier la méthode par laquelle les évaluations sont conclues. Ceci représente la grande force du système à points car il est facile de comprendre comment la valeur est évaluée, car il prend en compte les facteurs supplémentaires qui ajoute ou retire de la valeur, allant au delà de la taille du bien immobilier.
Quels sont les systèmes informatiques adaptés pour la taxe foncière dans les contextes de pays en développement?
Tandis que les technologies ne peuvent pas résoudre tous les problèmes, celles-ci ont été le point faible de beaucoup d’initiatives, et par conséquent il est important de les prendre en considération avec soin. Dans les milieux avec peu de ressources, il est nécessaire que les systèmes informatiques soient complets, peu cher, faciles d’utilisation, durables, et disposés à la transparence. Wilson Prichard, Directeur de Recherche de ICTD présenta trois options d’acquisition: les paquets de logiciels internationaux, le développement en interne, ou les solutions du secteur privé régional. Les paquets internationaux sont chers et peuvent être difficile à utiliser. La solution de construire en interne présente le problème de viabilité car il n’y aura peut-être personne dans le future pour réparer ou mettre à jour ce système. Le développement privé et régional peut être préféré car cela signifie que le système peut être personnalisé aux conditions régionales, et les entreprises régionales y trouveraient des avantages financiers en fournissant un service de support technique pratique, abordable et dans des délais raisonnables.
Malgré cela, il a paru insensé au groupe d’avoir des systèmes multiples développés dans chaque pays, quand tous les gouvernements ont un même besoin. Dans l’idéal, il y aurait une solution open-source disponible, que chaque gouvernement pourrait ensuite faire personnaliser et faire suivre par des entreprises régionales sur le long terme. Paul Fish proposa le système ReMof de RDF, qui est gratuit et open-source, et qui a déjà été mis en place par des administrations du Sierra Leone et du Malawi. Il suggéra que cette solution pourrait être partagée au travers de l’ATAF et aux associations et ministères d’administrations locales. Malgré cela, le groupe reconnut que, même des méthodes d’évaluation et des systèmes d’informatiques parfaits ne peuvent surmonter les défis politiques que présente la taxe foncière.
Quelles sont les principales barrières politiques au recouvrement de la taxe foncière et comment peuvent-elles être surmontées ?
Comme les impôts fonciers peuvent être perçus comme étant très progressistes, et par conséquent affectés en particulier les plus riches, on se retrouve souvent face à une certaine résistance de la part des élites politiques et du monde des affaires. On peut la voir sous la forme d’un refus de la part de fonctionnaires à mettre en place des initiatives sur la taxe foncière, en les sabotant, utilisant leurs relations afin d’être exclu du cadastre, ou aussi d’éviter de se conformer comme citoyens privés. Dans des contextes où le soutien politique dépend extrêmement de l’origine ethnique et de la région, ce qui motivent les élites divergent: dans les zones du parti au pouvoir, les détenteurs du pouvoir attendent les virements du gouvernement central et donc ne vont pas vouloir augmenter les impôts fonciers, alors que dans les zones d’opposition, les administrations locales vont peut-être essayer de les augmenter autant qu’ils peuvent parce qu’ils ne pensent pas pouvoir dépendre du gouvernement central et cherchent à être autonomes. Dans les situations où il a y peu d’intérêts à recouvrir la taxe foncière, il faut convaincre les élites qu’il y a des avantages politiques dans le recouvrement de l’impôt foncier et dans l’offre de services publiques populaires. Voir les impôts fonciers comme étant une taxe légitime est ici mis en évidence. Alors qu’il est peut être plus facile de convaincre les personnes à bas ou moyen revenus des avantages qu’un tel impôt progressiste offrent, il est plus difficile de convaincre ceux dont les richesses seront redistribuées. Cependant, cela reste possible en mettant l’accent sur les avantages publiques à long terme. Par exemple, William Attwell de Oxford Analytical a parlé d’un exemple de ‘Zones à Classement Particulier’ (Special Rating Areas) à Cape Town où les propriétaires immobiliers et commerciaux furent convaincus de payer un impôt supplémentaire sur le foncier en échange de recevoir de nouvelles indemnités publiques pour améliorer leur quartier et attirer plus d’affaires.
Dans les pays où les autorités traditionnelles ont une influence, ils ne vont peut être pas vouloir légitimer une nouvelle autorité dans l’administration locale. Au Sierra Leone, par exemple, un chef souverain a ordonné à son peuple de ne pas payer la taxe foncière. Cependant, dans une autre région, le porte-parole de la collectivité locale a amené les chefs à faire partie de la collectivité afin de les mettre du côté de la réforme sur la taxe foncière. Ainsi, il est vitale de prendre en compte ceux qui représentent les pouvoirs de tradition et de les intégrer.
Pour finir, la résistance aux taxes foncières ne vient pas seulement des élites, mais peut également être très mal vu au sein du peuple. Des années de colonialisme, de conflits, et de réforme agraire ont créé des contextes dans lesquels les gens sont devenus sensibles quand il s’agit de droits à la terre, ont peu de confiance dans le gouvernement, et sont suspects des responsables officiels qui évaluent leur maison et leurs biens. Olly Owen du Département du Développement International d’Oxford (Oxford Department of International Development) a partagé l’exemple du Nigeria, où certains groupes ethniques pensent qu’ils appartiennent à la terre, et que d’avoir à payer une taxe sur celle-ci est comme une sorte de persécution. Cela montre une fois de plus la nécessité de programmes complets de sensibilisation, afin d’assurer que la taxe foncière soit bien comprise et vue comme légitime.
La taxe foncière doit-elle être la responsabilité de l’administration locale ou être gérée au niveau national ?
Au vue de considérables barrières techniques et politiques au niveau de l’administration locale, certains gouvernements ont centralisé la taxe foncière, accordant aux autorités nationales du service fiscal la responsabilité du recouvrement. Par exemple, en Ethiopie, l’ERCA s’occupe du recouvrement de la taxe foncière à Addis Ababa, et au Rwanda, le RRA l’ensemble des taxes foncières. Le raisonnement derrière cela met au centre les plus fortes capacités des autorités fiscales, et leur aptitude à recouvrir les fonds accrus de manière plus efficace et peut être avec moindre corruption. Cependant, il existe peu de preuves que les autorités fiscales ont en fait augmenter les recouvrements de taxe foncière, plus que ne l’ont fait les administrations locales, et il y a beaucoup de désavantages.
Pour commencer, centraliser le recouvrement va à l’encontre des efforts mis en place pour développer les capacités au niveau des administrations locales dans le contexte de la décentralisation. Cela remet également en compte le fait que la taxe foncière puisse aider à établir une relation de redevabilité positive entre les administrations locales et les contribuables. De plus, les agences centrales ont peut être réussi à recouvrir les impôts fonciers dans les capitales, mais il reste incertain qu’il puisse évaluer et recouvrir les impôts fonciers de manière efficace dans les campagnes, que les administrations locales connaissent minutieusement et sont plus à même de toucher les populations. Pour finir, découpler la responsabilité en terme de fonction et en terme politique pour la taxe foncière peut embrouiller les citoyens par rapport à qui fait quoi, et également éloigner de la mission principale des autorités fiscales nationales.
Bien sûr, il existe d’autres possibilités pour allouer les responsabilités de la taxe foncière. Par exemple, les autorités fiscales nationales pourraient gérer les évaluations, pendant que les administrations locales se chargent du recouvrement. Ou sinon, les administrations locales pourraient signer un contrat avec une entreprise privée qui s’occuperait de la taxe foncière. Cependant l’expérience de sous-traitance au Sierra Leone nous sert d’avertissement, car l’agence s’est montrée très coercitive et s’est mis à dos la population, ce qui a uniquement servi à discréditer la légitimité de la taxe foncière et du gouvernement.
Une autre possibilité, introduite par Henry Saka du Uganda Revenue Authority, est de faire collaborer les administrations locales et le gouvernement central sur les taxes. Récemment, le URA et les administrations locales ont travaillé ensemble et ont exploité leurs atouts respectifs afin d’encourager l’exécution commune des taxes. Par exemple, si le URA impose une taxe à une entreprise qui possède une succursale dans une autre ville, il demandera si l’entreprise paye ses impôts locaux là-bas. De la même manière, si l’administration locale impose une entreprise, elle se renseignera sur ses paiements de TVA. En ce moment, l’URA est même en train de penser à utiliser les administrations locales pour le recouvrement de certaines taxes centrales parce qu’elles sont plus à même de toucher les populations, et le gouvernement central paierait alors des frais de recouvrement et fournirait des aides à la construction aux administrations locales.
De manière générale, le groupe sembla être d’accord qu’une centralisation générale des taxes foncières n’est peut être pas souhaitable, tout particulièrement comme mesure temporaire, mais que davantage de recherches faites sur les conséquences des changements de responsabilités aux différents niveaux du gouvernement pourraient être utiles pour des décisions futures.
Les initiatives sur les titres de propriété et la taxe foncière devraient-elles être liées ?
Cette discussion est survenue suite aux expériences du DAI, qui a trouvé que les initiatives sur les titres de propriété ont démontré avoir un succès limité lorsqu’elles étaient mises en œuvre seules. Nous sommes amenés à croire que les gouvernements poursuivraient de manière plus durable et avec plus d’énergie les titres de propriété si ces derniers étaient liés au recouvrement fiscal, et que comme une taxe foncière efficace repose sur l’existence d’un cadastre à jour, ces deux zones de réformes devraient être poursuivies ensemble.
Les participants à la discussion ont soulevé des points intéressants sur la relation entre titre de propriété et impôts. Dans certains contextes, comme celui des bidons-villes en Amérique Latine, les citoyens ont demandé une régularisation de leur domicile et de leurs droits à la terre afin de finalement avoir accès à une sécurité d’existence et financière. Dans d’autres contextes, comme au Rwanda, les titres étaient donnés sans qu’aucun effort ne soit fait pour évaluer le bien immobilier, car il était ressenti que sinon les gens ne coopèreraient pas par peur d’être imposable par la suite. Dans certains endroits, les gens ont envie de payer les taxes foncières parce que cela est vu comme une preuve de propriété, alors que dans d’autres, les gouvernements ont du mal à expliquer que payer la taxe ne donne pas droit au titre foncier.
A la fois, les titres de propriété peuvent être très compliqués et difficiles. Au travers de l’Afrique, il existe différentes sortes de revendications de possessions de terres: de possessions de l’Etat, à des titres formels, et des droits coutumiers. Les héritages compliquent également le sujet, comme les terres se retrouvent divisées en de plus en plus petites parcelles, ou bien les différents membres d’une famille portent tous leur intérêt sur le même bien. Autant le risque de lier les titres et la taxe ensemble peut pousser les gens à ne pas coopérer, ces facteurs appellent aussi à s’interroger sur si la justification des titres est la meilleure chose à faire en premier. Malgré cela, il reste beaucoup à étudier et prouver sur la question.
Pour plus d’informations sur la taxe foncière en Afrique, veuillez-vous rendre sur « Les avantages de l’impot foncier pour l’Afrique », une publication de l’Institut de Recherches Africaines – African Research Institute (ARI)- du Professeur et PDG du ICTD Mick Moore et Directeur de Recherches de l’ATAF Nara Monkam. Veuillez voir aussi l’Initiative pour la Taxe Foncière en Afrique.