Working Paper 159

Les consommateurs africains règlent de plus en plus souvent leurs achats par l’intermédiaire de l’argent mobile, surtout depuis la pandémie. Ces transactions sont connues sous le nom de paiements numériques des commerçants. Les consommateurs rwandais peuvent choisir d’utiliser les services d’argent mobile standards ou un service spécifique réservé aux paiements numériques des commerçants – MoMo Pay. Les paiements numériques, quels qu’ils soient, ont le potentiel d’améliorer la conformité fiscale, car ils impliquent des traces de données numériques et une meilleure tenue des registres. Dans quelle mesure ce potentiel est-il exploité au Rwanda ? En collaboration avec l’Office Rwandais des Recettes, nous avons recueilli des données d’enquête auprès de 1 100 commerçants dans tout le pays et avons pu établir une corrélation avec les données administratives fiscales, c’est-à-dire les dossiers fiscaux des personnes interrogées détenus par l’Office des recettes. Nous avons également organisé des groupes de discussion avec 15 commerçants et avons constaté que la grande majorité des paiements sont encore effectués en espèces. Les commerçants les plus importants, les mieux informés et les mieux lotis financièrement optent pour MoMo Pay plutôt que pour l’argent mobile standard, ce dernier étant préféré par les femmes et les commerçants moins instruits et moins bien équipés. Au début de la pandémie, en mars 2020, pendant une période de 18 mois tous les frais sur les transactions MoMo Pay ont été supprimés afin d’encourager les paiements numériques par le biais de ce service. En septembre 2021, les frais ont été réintroduits. L’exonération a entraîné une augmentation significative de l’utilisation de MoMo Pay par rapport à l’argent liquide. Lorsque les frais de MoMo Pay ont été réintroduits, il y a eu un retour significatif vers l’argent liquide, tant de la part des utilisateurs de MoMo Pay que des utilisateurs des services d’argent mobile standards, même si ces derniers n’ont pas été affectés par les frais. Enfin, nous examinons la corrélation entre l’adoption des paiements numériques et les perceptions fiscales des commerçants ainsi que leur comportement en matière de conformité. Tout d’abord, nous montrons que les commerçants utilisant MoMo Pay ont tendance à ne pas être d’accord avec l’obligation de payer des impôts pour bénéficier de services publics, une mesure de la réciprocité fiscale. Cette corrélation négative est probablement due aux frais imposés à MoMo Pay. En outre, l’usage courant de l’argent mobile améliore la perception de la facilité à se conformer à la fiscalité, alors que ce n’est pas le cas pour MoMo Pay. Là encore, le fait que les frais imposés par MoMo Pay ne soient pas clairement identifiables dans les relevés MoMo Pay complique la déclaration et la conciliation des activités des commerçants à des fins fiscales. S’agissant du comportement de conformité à la TVA, l’adoption des paiements numériques par les commerçants ne fait qu’améliorer les ventes et les intrants déclarés au titre de la TVA, et ce uniquement à court terme, alors que l’assujettissement final à la TVA ne change pas. Tout cela laisse entrevoir des stratégies de compensation perverses pour éviter de payer des impôts. Nous recommandons à l’administration fiscale de mieux comprendre les schémas d’adoption des paiements numériques et d’encourager leur utilisation par les catégories de contribuables les moins bien équipées. L’administration fiscale gagnerait également à accéder aux données relatives à l’argent mobile afin de mieux contrôler et faire respecter la conformité des commerçants.

Auteurs

Ludovic Bernad

Ludovic Bernad is a Supply Chain Specialist living in Rwanda. His interests include freight transport payments via mobile money, streamlining trade, and financial payment mechanisms, with a focus on Africa.

Yves Nsengiyumva

Yves Nsengiyumva is a researcher and community engagement specialist working on socio-economic development initiatives in Rwanda. He's a management consultant and also the in-country analyst for Euromonitor International.

Benjamin Byinshi

Benjamin Byinshi is a Senior Analyst who uses the mixed method research approach in agriculture and socio-economics related projects. His current focus is tax compliance, value chains and investment methods and analysis. Surveys he’s managed include Trade survey for National AfCFTA Strategy for Rwanda, Evaluation of the Local Competitiveness Facility Fund of Agriculture value chains, and Operationalisation of the Economic Recovery Fund for Manufacturing and MFIs/SACCOs in Rwanda.

Naphtal Hakizimana

Naphtal Hakizimana is a Research and Policy Analyst at the Rwanda Revenue Authority.

Fabrizio Santoro

Fabrizio is a Research Fellow at the Institute of Development Studies, and the Research Lead for the second component of the ICTD's DIGITAX Research Programme. His main research interests relate to governance, public finance, and taxation, with a strong focus on impact evaluation methodologies and statistical analysis. He holds a PhD in Economics from the University of Sussex.
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