La collecte des taxes dans les pays à faible revenu fait l’objet d’une attention internationale croissante, qui s’intensifie face aux pressions accrues sur les recettes des gouvernements du monde en raison de la pandémie de la Covid-19. Alors que les gouvernements chercheront de nouvelles sources de revenus dans les années à venir, une hausse des recettes n’est souhaitable que dans la mesure où elle permet d’obtenir des résultats plus justes et plus équitables, qui dépendent à la fois de la manière dont les recettes sont collectées et de la façon dont elles sont dépensées. Les avantages d’un investissement dans les systèmes fiscaux dépendront probablement de la capacité des contribuables à faire pression pour une fiscalité juste et équitable et de la traduction cohérente des recettes fiscales en avantages publics. Ceci soulève de nouvelles préoccupations au regard des inégalités majeures qui découlent et qui sont accentuées par la pandémie et les mesures politiques.

Cette réalité implique que davantage d’attention devrait être accordée au rôle que peut jouer la société civile — y compris les ONG ; les associations communautaires, commerciales et professionnelles ; les autorités traditionnelles et les médias — dans l’élaboration des programmes de réforme fiscale aux niveaux local, national et international. La société civile peut jouer un rôle influent pour contribuer à une fiscalité plus équitable en plaidant pour des systèmes fiscaux plus justes et en renforçant la capacité des contribuables à exiger des comptes aux gouvernements. Malgré ce potentiel, nous ignorons beaucoup de choses sur la manière dont la société civile peut réellement contribuer à mettre en place des systèmes fiscaux plus équitables et plus responsables dans la pratique. Face aux inégalités croissantes résultant de la crise actuelle, il est plus important que jamais de comprendre le rôle que peut jouer la société civile pour garantir des politiques fiscales plus équitables — et la manière de soutenir ce rôle.

Prôner des systèmes fiscaux plus équitables

La société civile peut contribuer à mettre en place des systèmes fiscaux plus équitables en jouant un rôle de défenseur. Un plaidoyer efficace peut faire ressortir les domaines clés de la réforme politique et administrative, notamment en soutenant une imposition plus efficace des riches, en réduisant les charges pesant sur les pauvres et en améliorant l’équité dans l’administration. Il est vrai que ces initiatives devraient être soutenues par des mouvements, mais dans la pratique, la défense des intérêts et les réformes se sont avérées difficiles pour deux raisons principales :

  1. Il a toujours été difficile de mobiliser un large soutien populaire — un pouvoir politique également — en faveur d’une amélioration de la fiscalité, contrairement à la lutte contre la fiscalité, qui est plus courante.
  2. Les campagnes nationales ascendantes en faveur de la collecte de recettes ont été relativement rares, tandis que les programmes de sensibilisation aux niveaux local, national et international ont souvent manqué de cohésion.

Ces défis soulignent la nécessité d’élaborer des stratégies de plaidoyer à même de créer un pouvoir politique positif afin de surmonter les résistances existantes. Cela signifie probablement d’engager des mouvements plus larges dans les débats fiscaux en les rendant plus adaptés et plus accessibles au-delà des cercles habituels, tout en renforçant la confiance dans les systèmes fiscaux afin de passer d’un plaidoyer anti-fiscalité à un plaidoyer en faveur d’une meilleure fiscalité. Dans le même temps, les stratégies de plaidoyer peuvent s’avérer plus efficaces si elles sont menées en fonction des priorités locales et si elles y répondent. Même si les campagnes menées dans différents contextes peuvent viser des priorités différentes, il est souhaitable que les campagnes de sensibilisation plus larges puissent conserver leur cohérence en se concentrant sur les objectifs globaux de justice et d’équité. Des expériences récentes indiquent plusieurs stratégies potentiellement utiles, notamment le renforcement des liens entre la recherche et le plaidoyer au niveau local et entre la fiscalité et les dépenses.

Soutenir l’engagement des contribuables

La société civile peut contribuer davantage à une fiscalité plus équitable en renforçant la capacité des contribuables à exiger des comptes aux gouvernements. Pour y arriver, elle peut encourager la mobilisation populaire autour des questions fiscales afin d’améliorer la manière dont les recettes sont dépensées. Elle peut également servir de plateforme pour appuyer des demandes plus larges de responsabilisation. Des preuves montrent que, dans certains contextes, l’expansion de la fiscalité a contribué à doter les contribuables des moyens d’exiger des gouvernements une meilleure réactivité et une plus grande responsabilité, avec une nouvelle fiscalité à la fois mobilisatrice et responsabilisante. Cependant, il est tout aussi évident qu’une telle négociation fiscale positive est loin d’être garantie : elle dépend, plus fondamentalement, de la capacité des contribuables à se mobiliser et à exercer le pouvoir nécessaire pour formuler des demandes efficaces auprès des gouvernements. Dans de nombreux pays à faible revenu, par contre, l’engagement des contribuables a été restreint, principalement en raison de trois problèmes :

  1. Les connaissances fiscales des acteurs de la société civile se sont révélées limitées, laissant souvent l’engagement public sur les questions fiscales à un groupe d’experts relativement restreint.
  2. Les citoyens en général ont une « culture fiscale », limitée, c’est-à-dire une compréhension et une prise de conscience de la manière dont les gouvernements collectent des recettes et le lien entre ces recettes et les dépenses publiques. La plupart des citoyens ignorent les types de taxes qu’ils doivent payer ou la manière dont les recettes fiscales sont dépensées. Cette situation peut être particulièrement préoccupante étant donné la perception souvent négative qu’ont les contribuables de l’équité des systèmes fiscaux, et peut être accentuée dans des contextes à forte résistance fiscale et où la prestation de services publics se révèle médiocre.
  3. Dans certains contextes, les contribuables hésitent ou craignent de s’engager davantage dans des actions de sensibilisation sur la fiscalité, par crainte de répercussions économiques, politiques ou sociales qui pourraient en découler.

Face à ces défis, il s’avère donc très important d’accroître les connaissances fiscales et la transparence des systèmes fiscaux. Les gouvernements de l’Afrique subsaharienne ont adopté un grand nombre d’initiatives visant à promouvoir l’éducation fiscale, notamment des journées nationales du contribuable, l’éducation fiscale dans les écoles, des programmes de radio et de télévision et des campagnes dans les médias sociaux. Cependant, il n’y a eu pratiquement aucune évaluation de l’impact et des résultats de ces initiatives. De plus, des recherches récentes montrent que les efforts visant à améliorer la transparence fiscale et la culture fiscale sont souvent limités dans la pratique, car l’information reste souvent inaccessible et insuffisamment significative pour la majorité des contribuables. D’une manière plus fondamentale, même avec une connaissance fiscale améliorée, l’impact d’une meilleure connaissance peut être limité sans une grande mobilisation et un meilleur engagement des contribuables. La société civile peut ainsi jouer un rôle efficace dans l’amélioration de l’engagement des contribuables en agissant de trois manières principales :

  1. D’abord, en tant que traducteur, pour rendre les informations et les données fiscales plus accessibles et plus significatives pour les contribuables. Il s’agit notamment de veiller à ce que les informations soient divulguées d’une manière et par des canaux facilement accessibles au contribuable moyen, tout en étant adaptées aux contextes locaux et alignées sur les priorités locales.
  2. Ensuite, en tant que formateur, en partageant les connaissances fiscales et en dotant les contribuables et/ou les responsables communautaires des compétences nécessaires pour donner un sens aux recettes fiscales et aux dépenses publiques.
  3. Enfin, en tant que catalyseur de l’engagement des contribuables, en encourageant ces derniers à poser des exigences au gouvernement. Les acteurs de la société civile peuvent, par exemple, soutenir des espaces de dialogue sûrs, sécurisés et sincèrement ouverts entre les contribuables et les représentants du gouvernement ou aider les contribuables à formuler des demandes collectives et à s’engager de manière plus constructive dans les débats publics.

De manière globale, les stratégies de la société civile peuvent s’avérer plus efficaces si elles combinent différents canaux d’influence ; par exemple, en éduquant les citoyens sur les questions fiscales, tout en contribuant à mobiliser les acteurs sociaux pour obliger le gouvernement à rendre des comptes et à se montrer réceptif. Sans ce lien, il existe un risque que l’éducation et la transparence renforcées des contribuables ne se traduisent pas réellement par des actions significatives ou par une meilleure équité et une plus grande responsabilité.

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Vanessa Van den Boogaard

Dr Vanessa van den Boogaard est docteur en sciences politiques à l’Université de Toronto. Son doctorat traitait du sujet de la fiscalité informelle et les relations entre l’État et la société en Sierra Leone et en République démocratique du Congo.  Elle continue de poursuivre des recherches sur ces sujets en République démocratique du Congo et en Somalie. Vanessa dirige le nouveau programme de l’ICTD sur l’engagement de la société civile dans la réforme fiscale et co-dirige également le programme de recherche sur la fiscalité informelle.