Les gouvernements africains ont besoin de recettes fiscales pour tout financer, de l’éducation à la protection sociale en passant par le paiement des dettes internationales. Il n’est donc pas étonnant qu’ils s’intéressent aux services financiers numériques (SFN) – un secteur en pleine expansion et très rentable – pour générer des revenus supplémentaires.

Toutefois, les critiques ont mis en garde contre le risque que ces taxes affectent lourdement les personnes à faibles revenus. Ainsi, comment les gouvernements peuvent-ils percevoir les recettes indispensables du secteur en plein essor des SFN, tout en évitant de freiner sa croissance et son innovation et de faire peser une charge injuste sur les personnes démunies ?

Deux possibilités s’offrent aux gouvernements pour percevoir des taxes auprès du secteur des SFN.

  • Actuellement, beaucoup de gouvernements perçoivent des droits d’accise sur les SFN et des impôts sur les sociétés auprès des entreprises prestataires. Certains experts, comme l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Kenya, Njuguna Ndung’u, estiment que ces taxes sont trop élevées. S’il est trop tôt pour définir avec certitude l’impact de ces taxes sur la croissance du marché du mobile money, ces taxes sur les principaux marchés n’ont pas empêché Safaricom de devenir la société la plus valorisée d’Afrique de l’Est.
  • Plusieurs gouvernements ont également introduit des taxes directes sur les paiements des SFN. La dernière en date de cette pratique est l’e-levy du Ghana. Comme il fallait s’y attendre, cette mesure s’est avérée impopulaire, comme en Ouganda et en Côte d’Ivoire, ce qui a entraîné un effondrement initial, puis une reprise partielle, de l’utilisation des SFN. Les effets à plus long terme restent à déterminer.

La combinaison de politiques qu’il faut dépend du contexte, les pionniers du numérique comme le Kenya étant confrontés à des choix différents. Mais il convient que les gouvernements tiennent compte de deux messages d’avertissement :

  • Examiner attentivement l’impact des taxes sur les transactions sur les personnes à faibles revenus. De nouveaux résultats de recherche menés au Ghana suggèrent que l’e-levy est fortement régressif, les utilisateurs du secteur informel du quintile inférieur payant la plus grande part par rapport à leur revenu. Cela s’ajoute aux frais de transaction (souvent 3 % ou plus) et aux intérêts (parfois 100 % ou plus par an), déjà très régressifs, facturés par les fournisseurs.
  • Faire preuve de prudence dans l’utilisation des données des SFN pour élargir le filet fiscal. Les gouvernements explorent de plus en plus les SFN comme un moyen « d’élargir l’assiette fiscale en réduisant l’évasion et la fraude fiscales », comme l’a récemment déclaré David Malpass de la Banque mondiale. Cependant, le fait que les données des SFN puissent être utilisées pour taxer plus lourdement l’économie informelle risque d’avoir un impact disproportionné sur les plus démunis, pour qui le secteur informel existe d’abord pour la survie, et pas principalement pour l’évasion fiscale.

Un système fiscal équitable et efficace doit plutôt peser sur les épaules les plus larges. Les citoyens s’attendent à juste titre à ce que les sociétés multinationales, y compris les opérateurs du secteur des SFN, paient des taxes sur les marchés d’où elles tirent leurs revenus.

Personne n’a intérêt à taxer les SFN pour les faire disparaître. En fait, les SFN ont le potentiel de faciliter le paiement des taxes, ce qui profite à la fois aux contribuables et aux gouvernements. Toutefois, une sous-taxation des SFN reviendrait à renoncer à des recettes dont tout le monde peut bénéficier.

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Philip Mader

Dr Philip Mader est un chercheur travaillant avec le programme DIGITAX. Il jouit de plus de 14 ans d’expérience dans le domaine de la recherche et du conseil en développement international. Ses recherches portent sur l’économie politique, la finance et le développement, l’emploi des jeunes, la financiarisation, l’inclusion financière et, plus largement, les interventions axées sur le marché dans le développement. Il a dirigé des évaluations d’impact de l’inclusion financière et des groupes de solidarité pour des bailleurs de fonds européens et internationaux.