Une collecte efficace et efficiente des taxes foncières nécessite une grande rénovation qui répond à la question essentielle qui est celle de savoir qui doit payer l’impôt foncier : le propriétaire ou l’occupant ? Le présent article a pour objet de proposer, par réalisme du droit fiscal, d’abandonner le concept de propriétaire au profit de celui de l’occupant.

La taxation du propriétaire: Une approche fiscale surranée

A l’instar de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la mobilisation de l’impôt foncier au Tchad est contrariée par de nombreux défis dont le problème récurrent d’identification des propriétaires des actifs fonciers à imposer. A cela s’ajoute les changements récurrents des propriétaires des immeubles. En effet, en l’absence d’un marché foncier formel, la plupart des transactions immobilières se font dans l’informel compliquant davantage l’identification des propriétaires des immeubles donc des personnes devant payer l’impôt foncier. Selon la législation fiscale tchadienne, toute propriété doit être imposée sous le nom du propriétaire. En effet, au Tchad, seul le titre foncier donne droit à une propriété foncière définitive. Une interprétation stricte et a contrario, signifie que n’est pas propriétaire foncier celui qui ne détient pas un titre foncier.

Cependant, très peu de tchadiens ont immatriculé leurs terrains. Dans les faits, la majorité des habitants est installée illégalement sur des parcelles qu’elles ont obtenues de diverses manières. Or, selon l’esprit du code général des impôts, on est redevable de l’impôt foncier que quand on est propriétaire d’un bien immobilier. Dans la pratique, une infime partie seulement de la population (moins de 15%) observe les procédures normales d’acquisition des parcelles de terrains définies par les textes en vigueur pour en devenir propriétaire. En revanche, si 15% seulement de la population tchadienne suit les procédures légales d’attributions des terrains comme indiquer ci-haut, moins de 5% seulement des attributions des parcelles parviennent à l’étape d’immatriculation. En d’autres termes, seulement 5% de la population tchadienne sont reconnue par l’Etat comme étant propriétaire de leur terrain et sont redevable de l’impôt foncier. Les autres citoyens sont soit des occupants anarchiques soit des attributaires ayant payé juste les droits de bornage ou autres droits relatifs au dossier d’attribution de parcelle sans dépasser le stade de cession de gré à gré qui est une phase préalable à l’immatriculation.

Cette difficulté d’accéder au titre de propriété peut s’expliquer par le fait que le processus d’immatriculation des terres est long, complexes et onéreux. Il en résulte que la propriété des immeubles est souvent mal identifiée, surtout dans les quartiers populaires ou ces actifs sont de faibles valeurs. Cette situation crée une informalité grandissante en matière de propriété foncière et par ricochet en matière de recouvrement d’impôt foncier. De ce qui précède, Il est difficile de retenir comme redevable d’impôt foncier, le propriétaire des biens immobiliers dans la mesure où même le pouvoir public n’a pas les moyens de faire respecter les normes qu’il a édictées en matière de propriété foncière à toute sa population.

La taxation de l’occupant: Une approche conformé au realisme du droit fiscal

Dans un pays comme le Tchad où les processus d’appropriation et de mutation des biens fonciers ne font pas l’objet d’un enregistrement rigoureux, il est beaucoup plus commode et plus efficace de considérer  l’occupant d’un actif immobilier comme redevable de l’impôt foncier. Ce dernier (l’occupant) peut récupérer cet impôt auprès du propriétaire de l’immeuble s’il est simplement locataire en le déduisant directement sur le loyer à verser au bailleur.

L’impôt foncier annuel pourrait ainsi jouer un rôle important dans le processus de sécurisation des droits fonciers en servant de preuve de possession d’une propriété. En effet, en cas de revendication d’une propriété, l’administration pourra par exemple exiger la preuve du paiement de l’impôt foncier à défaut de la détention d’un titre foncier. La taxation de l’occupant aura ainsi le mérite de faire jouer la prescription acquisitive prévue dans la législation tchadienne en fournissant une preuve supplémentaire que sont les justificatifs des paiements de l’impôt foncier.

A défaut de s’en tenir à la taxation de l’occupant, il conviendrait de distinguer le redevable de l’assujetti en matière d’impôts fonciers comme cela se fait en matière de la taxe sur la valeur ajoutée(TVA). L’impôt foncier sera dans ce cas supporté par le propriétaire de l’actif immobilier mais l’obligation de le déclarer et de le payer incombe à l’occupant qui va le déduire sur le loyer à verser au propriétaire (s’il s’agit d’un simple locataire). Le propriétaire (bailleur) recevra le montant net d’impôt c’est-dire le montant du loyer après défalcation du montant de l’impôt payé en amont par l’occupant-locataire. Si l’occupant se trouve être le propriétaire de l’immeuble, dans ce cas, il n’y a pas de déduction à faire car il n’y a pas de distinction entre le redevable et l’assujetti. Le propriétaire de l’immeuble est en même temps redevable et assujetti.

Dans tous les cas, l’assujetti c’est-dire la personne qui supporte en dernier ressort cette taxe est bien le propriétaire de fait ou de droit de l’actif immobilier. Mais si on considère une imposition du propriétaire, les détenteurs de fait des actifs immobiliers pourraient se livrer à des évasions fiscales entrainant une perte de recettes pour les collectivités publiques.

Si la taxation de l’occupant est définitivement retenue en lieu et place de la taxation du propriétaire, on pourrait en outre, dans le cadre de la lutte contre l’informel, exiger du locataire, s’il s’agit d’un assujetti à l’impôt sur le revenu de préciser dans sa déclaration d’impôt sur le revenu l’identité ainsi que les adresses réelles du propriétaire de fait ou de droit de l’actif immobilier (bénéficiaire de ces loyers). A défaut il lui sera interdit de passer le montant du loyer payé dans les charges fiscalement déductibles. Des dispositions du code général des impôts doivent clairement indiquer cela. Cette technique pourra permettre à l’administration fiscale d’étoffer son fichier d’immatriculation et d’aider les propriétaires de fait à devenir des propriétaires de droit. La taxation de l’occupant pourra ainsi aider à lutter contre l’informel qui gangrène le foncier au Tchad.

Par ailleurs, pour une mobilisation optimale des impôts fonciers, il ne faut pas s’en tenir simplement à la taxation de l’occupant. Des efforts doivent être faits pour une fusion de toutes les structures techniques et fiscales intervenant dans le domaine du foncier ainsi que tous les acteurs formels et non formels. Il serait par ailleurs nécessaire de revoir le profil des agents intervenant cette structure fusionnée ainsi que leur motivation et le régime des sanctions disciplinaires. Enfin, il faut unifier et simplifier l’impôt foncier pour que la taxation de l’occupant préconisée dans la reforme de l’impôt foncier puisse donner les résultats escomptés. Enfin, il est indispensable de fixer des seuils pour lesquels les actifs fonciers doivent être imposés pour éviter de disperser les efforts de l’administration fiscale sur des actifs de faibles valeurs.

Djasrah Ngartigal Sanngar

M. Djasrah Ngartigal Sanngar est titulaire d’un Master en Droit de l’Université d’Auvergne et d’un diplôme d’Inspecteur des Impôts de l’Ecole Nationale des Impôts (ENI) de Clermont-Ferrand. Il a occupé successivement les postes de Directeur Général des Domaines ; Directeur Général des Impôts ; Directeur des Etudes, de la Législation et du Contentieux (Direction Générale des Impôts) et de Directeur du Contrôle Fiscal et des Enquêtes Fiscale (Direction Générale des Impôts). Il est actuellement chargé de cours de fiscalité à l’université de N’Djamena et à l’Ecole Nationale d’Administration de Tchad.