Les négociations sur le « Pilier Un » au sein du Cadre inclusif G20/OCDE ont montré à quel point les gouvernements étaient prêts à faire des efforts pour une négociation dont le résultat pourrait ne jamais entrer en vigueur. Après avoir assisté aux négociations sur la Convention-cadre des Nations Unies sur la fiscalité en début de ce mois, j’ai mené une réflexion sur la manière d’agir pour éviter que la nouvelle Convention ne subisse le même sort.
De nombreux participants familiers ayant contribué aux travaux de l’ICTD sur la politique fiscale dans les pays africains et à l’étude des négociations dans le Cadre inclusif (voir photo) étaient présents aux négociations. Cependant, le cadre était différent : une négociation intergouvernementale à l’ONU. Il s’agissait du premier cycle de discussions de fond sur le mandat qui orientera les négociations sur la Convention au cours des prochaines années. Les discussions étaient à composition non limitée lors de ce premier cycle, mais lors du deuxième cycle en juillet et août de cette même année, les pays devront s’accorder sur le mandat qui sera envoyé à l’Assemblée générale pour adoption.
Dans son rapport de l’année dernière, le Secrétaire général a établi une définition d’une coopération fiscale « inclusive et efficace », qui est étroitement alignée sur les trois types de légitimité que mes collègues et moi avons utilisés dans d’autres recherches. Il s’agit de la légitimité en matière de contribution (qui a son mot à dire), de la légitimité en matière de degré d’implication (« critères de procédure » dans le rapport du Secrétaire général, comprenant la participation, l’établissement des programmes de travail, la prise de décision et la mise en œuvre) et de la légitimité en matière de résultat (adoption et utilité du produit final, ou « critères de fond » dans le rapport). Il ne fait aucun doute que les Nations Unies ont une légitimité en matière de contribution, mais les considérations relatives au degré d’implication et au résultat nourrissent vivement l’incertitude qui entoure l’issue des négociations de la Convention, ainsi que sa pertinence et son impact en fin de compte.
Légitimité en matière de degré d’implication (1) : la participation
Ces négociations n’ont rien à voir avec celles du Comité d’experts des Nations Unies et (je suppose) de l’OCDE, et l’une des raisons en est sans doute que le cadre implique les ministères des affaires étrangères et des technocrates habitués aux questions de fiscalité. Pourtant, comme dans des contextes similaires, les pays à revenu élevé semblent mieux équipés pour mobiliser une combinaison de capacités socio-techniques et de soutien gouvernemental officiel. Les pays de l’OCDE avaient été bien représentés dans les discussions quotidiennes par rapport à d’autres, et il est probable qu’ils aient également eu un nombre plus élevé de participants présents.
Si l’on considère tout d’abord les experts en fiscalité, il semble qu’une grande partie de ceux qui participent de manière active aux discussions ait également pris part à d’autres organismes fiscaux internationaux tels que le Cadre inclusif, ce qui leur a permis d’acquérir un certain capital social et une autorité technique, et d’établir des contacts avec d’autres représentants. C’était bien le cas des représentants des pays à revenu élevé, mais aussi de certains représentants des pays du Sud. De nombreuses interventions les plus convaincantes en faveur d’une Convention ambitieuse des Nations Unies ont été faites par des représentants ayant une bonne connaissance du Cadre inclusif.
En principe, le fait de pouvoir compter sur des diplomates basés à New York devrait permettre de mener les négociations sur un pied d’égalité, car les pays à faible revenu n’ont pas besoin de déployer par vol des fonctionnaires de la fiscalité depuis leurs capitales, ce qui est très coûteux en termes de moyens et de temps, sans mentionner les inégalités liées aux exigences en matière d’octroi de visas. On note également une disparité en matière de capacités. Un pays dont la mission auprès des Nations Unies compte moins de personnel ne peut pas suivre de manière aussi approfondie toutes les négociations qui se déroulent simultanément, et les représentants n’auront pas non plus le temps d’assimiler les connaissances spécifiques qui seront nécessaires lorsque les négociations porteront sur des questions de politiques, alors que cela devrait normalement fonctionner de la sorte. Plus important encore, les lignes de communication strictes au sein de nombreux gouvernements du Sud peuvent rendre plus difficile la communication informelle entre les diplomates à New York et les fonctionnaires du ministère des finances dans leur pays lorsqu’ils ont besoin d’un soutien technique. En cas de prise de décision par vote, le bloc des pays du Sud fait le poids. Cependant, comme nous l’avons constaté lors de notre étude du Cadre inclusif, une grande partie des décisions sont prises lors des discussions techniques qui ont lieu entre les sessions plénières.
Pour rendre les négociations plus inclusives, il a été proposé de fournir une formation technique au personnel des missions de l’ONU, d’octroyer aux pays à faible revenu un financement pour les frais de déplacement, de garantir une traduction complète et en temps utile des documents et de procéder à une rotation des lieux de négociation. Chacune de ces propositions peut être utile. Cependant, il est important que les pays du Sud poursuivent le travail comme le fait déjà si efficacement l’Afrique par le biais de coalitions représentées par des membres compétents et expérimentés en négociations, et qui regroupent de plus en plus d’organisations techniques et politiques.
Légitimité en matière degré d’implication (2) : la prise de décision
Le comité s’efforce de parvenir à un consensus dans la mesure du possible, mais sur les questions les plus controversées, les positions de la plupart des membres tendent à se répartir en deux blocs assez bien établis. Il y avait bien sûr des exceptions, notamment les petits États insulaires et les pays du Sud qui sont également membres de l’OCDE. En cas d’épuisement des tentatives de consensus, le comité passera à la prise de décision à la majorité, où il semble que les pays du Sud feront le poids. Jusqu’à présent, les divergences les plus significatives concernent le principe, le processus et la conception institutionnelle. Il s’agit plus particulièrement des questions suivantes :
- Comment la Convention doit-elle s’articuler avec les institutions existantes, en particulier celles de l’OCDE ? Faut-il adopter le principe de la « complémentarité » pour éviter les chevauchements, ou celui de la « consolidation » dans un cadre mondial des Nations Unies ?
- Les décisions prises pendant les négociations de la Convention doivent-elles être adoptées à la majorité, à la majorité qualifiée ou par consensus ? Et qu’est-ce que cela signifie d’avoir épuisé les efforts pour parvenir à un consensus ?
- Les États doivent-ils convenir des protocoles en même temps qu’ils négocient le cadre général, ou doivent-ils attendre qu’il soit mis en place d’abord ?
Le bloc des pays du Sud se trouve ainsi confronté à un choix stratégique. Bien-sûr, ils sont suffisamment nombreux et déterminés pour forcer l’adoption de décisions sur la convention et ses protocoles sans le soutien de l’OCDE. L’expérience du Cadre inclusif montre qu’il peut être difficile de maintenir un consensus au sein d’une grande coalition de toutes les parties du monde, ce qui conduit à des délibérations complexes et interminables. Ce sera le cas des questions relatives à la politique de distribution, pour lesquelles le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. En revanche, tous les problèmes politiques ne peuvent pas être résolus par une majorité de pays agissant contre la volonté d’une puissante minorité. À mon avis, une convention-cadre réussie inclurait dès le début des protocoles à la fois majoritaires et consensuels, créant ainsi un précédent pour ces deux formes de coopération.
Légitimité en matière degré d’implication (3) : l’établissement des programmes de travail
Au moment où je quittais la réunion, les discussions se poursuivaient sur les premiers protocoles qui pourraient être négociés parallèlement à la Convention. J’ai retenu trois éléments de ces discussions. Tout d’abord, il s’agissait de travaux d’établissement de programmes qui se déroulaient au grand jour, sur un pied d’égalité, ce qui constitue déjà un élément distinctif de la Convention. Deuxièmement, il y a un long chemin à parcourir entre une liste de questions (services transfrontaliers, imposition des fortunes, etc.) et une notion claire de ce qu’un protocole à la Convention des Nations Unies sur chaque question serait spécifiquement conçu pour réaliser. Je pense qu’il s’agit là d’un défi bien plus important que les discussions sur le cadre lui-même. Troisièmement, je pense qu’il est essentiel d’avoir ces discussions maintenant, afin que certains objectifs politiques prennent forme avant que la conception institutionnelle ne soit finalisée. La forme de la Convention devrait se baser sur une idée des types de résultats politiques qu’elle est censée atteindre, et les discussions n’ont pas encore abordé cette question.
Légitimité en matière de résultat : les résultats seront-ils utiles ?
Comme l’ont rappelé à plusieurs reprises les États africains et les petits États insulaires à leurs homologues de l’OCDE à New York, nous vivons déjà dans un monde où une minorité puissante a réussi à persuader une grande partie de la majorité de se conformer à des normes qu’elle n’a pas formulées et qu’elle ne juge peut-être pas appropriées, y compris par une coercition explicite comme dans le cas de la liste noire de l’Union européenne. Osons le dire, les pays du Sud ont également réussi à contraindre les pays de l’OCDE à une négociation à laquelle ils s’étaient opposés lors de l’Assemblée générale. Si les pays à faible revenu s’alignent sur l’imposition des entreprises, d’autres pourraient subir des pressions de la part de leurs multinationales pour qu’ils y participent afin de réduire la double imposition.
En revanche, les pays peuvent signer un accord et ne pas l’appliquer. Qu’il s’agisse de la TVA, de l’impôt sur les sociétés ou des dispositions relatives à l’échange d’informations, les pays du Sud n’agissent pas collectivement avec célérité pour aligner leur législation nationale sur les normes internationales. Il en va de même lorsque ces normes sont incorporées dans des conventions intergouvernementales. Par exemple, près de huit ans après que la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS (IM) a été conclue par un groupe spécial d’experts d’une centaine de pays, celle-ci n’est en vigueur que dans neuf des 54 pays africains. Plusieurs autres pays, dont le Kenya et le Nigeria, l’ont signé peu après son adoption, mais ne l’ont pas encore ratifié.
Bien entendu, cette situation est en partie due aux normes elles-mêmes, dont beaucoup sont complexes et coûteuses à adopter, ou ne répondent pas aux besoins des pays à faible revenu. Les avantages potentiels de l’IM pour les pays à faible revenu sont assez limités. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose si les gouvernements s’intéressent à d’autres aspects de la politique et de l’administration fiscales qui sont des priorités plus urgentes.
La dynamique au sein des gouvernements risque également de compromettre la mise en œuvre d’engagements importants, si le soutien politique est difficile à obtenir une fois qu’un accord officiel a été conclu ou, inversement, si des engagements politiques sont pris sans tenir compte du travail technique de base nécessaire à leur mise en œuvre.
Cette dynamique représente un risque pour la Convention. Comment peut-elle s’imposer sur le terrain, ainsi qu’à New York ? Les organisations régionales, telles que l’Union africaine, le Forum sur l’administration fiscale africaine et la Plate-forme de coopération fiscale pour l’Amérique latine et les Caraïbes, accomplissent un travail important pour sensibiliser leurs membres à la Convention, et l’implication du personnel des ministères des affaires étrangères dans les missions de l’ONU sera également utile. Toutefois, je pense que s’il y a un enseignement à tirer du Cadre inclusif (et peut-être aussi de l’actuel Comité d’experts des Nations Unies), c’est qu’il est difficile d’introduire une nouvelle politique fiscale au sein d’un grand nombre de pays par le biais d’un accord multilatéral, même si les fonctionnaires de ces pays ont participé à la négociation de cet accord. Le « fruit à portée de main », du moins, est sans doute la normalisation de pratiques qu’un grand nombre de pays ont déjà ou projettent vivement d’adopter. Par exemple, l’idée d’un protocole sur l’imposition des services numériques me semble assez attrayante pour les raisons suivantes : les décideurs politiques des pays à faible revenu s’y intéressent vivement, mais peu de pays veulent agir seuls ; il existe une certaine expérience nationale sur laquelle s’appuyer ; il n’y a pas de consensus international sur la meilleure approche, mais plutôt une série de possibilités ; un accord intergouvernemental permettant une exonération de la double imposition présente un avantage certain – même s’il est peu probable qu’il bénéficie du soutien immédiat de tous les pays d’origine des multinationales qui fournissent des services numériques. Cela me ramène à la question de l’établissement des programmes de travail. Si la Convention doit jouer un rôle majeur dans le paysage fiscal international, il est crucial de déterminer les gains tangibles à court et moyen terme, ainsi que les objectifs à long terme pour la réforme de la fiscalité internationale.