Il y a environ deux ans, l’ICTD a lancé un nouveau programme de recherche sur l’égalité des sexes et la fiscalité avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates. À la suite d’un atelier avec nos parties prenantes africaines au Ghana, nous avons décidé de concentrer notre enquête sur deux principaux domaines : 1) la représentation des femmes dans les administrations fiscales africaines et l’impact de leur participation sur le recouvrement fiscal ainsi que la performance des autorités fiscales ; et 2) les différents impacts de la fiscalité sur les hommes et les femmes, et en particulier l’impact des systèmes fiscaux formels et informels sur les moyens de subsistance des femmes africaines les plus démunies. Qu’avons-nous donc appris jusqu’alors ?
Les femmes sont de très bonnes administratrices fiscales
L’administration fiscale est traditionnellement dominée par les hommes, mais la participation des femmes connaît un essor. L’autorité fiscale ougandaise (URA) a entrepris une étude pour examiner la représentation des femmes dans l’organisation, leurs performances et la perception qu’ont les hommes et les femmes de la dynamique du genre sur le lieu de travail.
En termes de représentation, au total, 39 % des employés de l’URA étaient des femmes à la fin de 2017. Les femmes sont présentes en nombre important dans tous les départements, sauf dans les douanes, où elles représentent 35 % des effectifs. Une majorité d’entre elles occupent des postes subalternes, et quelques-unes occupent des postes de direction, à l’exemple de la commissaire générale Doris Akol. L’on observe également des différences entre les régions. Les femmes représentent une faible proportion du personnel dans les régions, en dehors de la région centrale où se trouvent Kampala, l’aéroport international d’Entebbe et le siège de l’URA.
En termes de performances, l’étude a révélé qu’en moyenne, les femmes reçoivent des notes légèrement plus élevées que les hommes lors de leurs évaluations semestrielles. Elles ont également tendance à travailler plus longtemps dans l’administration fiscale que les hommes, soit 12,3 ans en moyenne contre 11,6 ans pour les hommes. Enfin, les employés masculins sont plus de deux fois susceptibles de faire l’objet de mesures disciplinaires (licenciement, suspension ou renvoi) que les femmes.
En termes de perceptions et d’attitudes, la présence des femmes en milieu professionnel n’est pas perçue comme une nouveauté ou une menace par leurs collègues masculins, et tant les femmes que les hommes semblent détendus et satisfaits de travailler dans un environnement mixte. Cependant, plus d’hommes (61 %) que de femmes (23 %) ont exprimé leur satisfaction vis-à-vis du niveau actuel de diversité des genres à l’URA. Dans l’ensemble, l’enquête a révélé que l’emploi des femmes est bénéfique pour l’efficacité des administrations fiscales.
Au-delà des taxes officielles, les femmes doivent supporter une charge fiscale plus lourde pour accéder aux biens et services publics
Une autre étude de l’ICTD a examiné la fiscalité à laquelle sont soumis des commerçants dans neuf marchés de la ville de Dar es Salaam. Bien que les chercheurs n’aient trouvé aucun préjugé lié au genre dans le paiement des taxes des marchés, ils ont constaté que les commerçantes paient jusqu’à 18 fois plus pour leur utilisation quotidienne des toilettes des marchés, comparés à ce qu’elles paient comme taxe des marchés. Dans de nombreux cas, les commerçantes doivent payer 20 % de leur revenu quotidien pour les frais de toilettes. Cela représente un impact négatif majeur sur les femmes commerçantes, qui ont besoin de toilettes plus fréquemment que les hommes, et qui disposent de moins d’alternatives.
Ces résultats démontrent que le fait de mettre l’accent sur les systèmes fiscaux formels ne suffit pas à révéler la différence liée au genre que l’on observe dans les modes d’utilisation et de financement des biens et services collectifs. Ceci est également démontré dans une étude menée en Sierra Leone, qui a examiné les différences liées au genre dans le paiement des taxes formelles et informelles. Cette étude a révélé que même si les ménages gérés par des hommes sont plus susceptibles de payer des frais d’utilisation formels (comme les frais de scolarité, de santé, d’enterrement et de mariage), ces hommes paient un montant inférieur à celui des femmes par rapport à leurs revenus. Dans le même temps, les ménages gérés par des femmes paient davantage de taxes et de frais d’utilisation informels (comme les paiements effectués aux acteurs non étatiques, notamment les chefs et les associations de développement communautaire et les paiements informels aux médecins et aux enseignants). La charge de ces taxes et frais d’utilisation informels est beaucoup plus élevée pour les ménages gérés par des femmes, puisqu’ils représentent 61 centimes sur chaque 10 $ qu’ils gagnent, contre 38 centimes pour les ménages gérés par des hommes.
Implications pour la représentation politique et l’engagement avec l’État
Le slogan bien connu de la Révolution américaine était « pas d’imposition sans représentation », mais cette logique fonctionne-t-elle à l’inverse, c.-à-d. lorsque les femmes paient moins de taxes officielles, sont-elles privées de représentation politique ? En Sierra Leone, la représentation au sein de la chefferie est soumise au paiement de l’impôt local (vote), et la population a des opinions très sexistes sur l’obligation de payer cette taxe, étant donné que les hommes paient généralement au nom de leurs épouses et des membres de leur famille. Ce sentiment de responsabilité fiscale différente entre les hommes et les femmes est ancré dans les institutions coloniales et les normes sexistes bien établies. Les conseillers au sein des chefferies, qui disposent exclusivement du droit de vote des chefs suprêmes, sont presque tous des hommes, et les femmes sont exclues de la collecte des impôts locaux et de la prise de décision. Dans les rares cas où des femmes ont occupé le poste de cheffe suprême, des décisions importantes ont parfois été prises par des sociétés secrètes masculines plutôt que par la cheffe. Par conséquent, en raison de la nature ancrée de la discrimination liée au genre dans les administrations et la politique des chefferies, il n’est pas certain que si les femmes payaient davantage l’impôt local, leur représentation s’améliorerait.
Il convient également de se demander si, étant donné que les femmes paient davantage de taxes par des voies informelles, leurs possibilités d’engagement avec l’État (et les possibilités correspondantes d’établir des relations plus responsables) sont également plus limitées. En Sierra Leone, les femmes ont moins de contacts avec les fonctionnaires du gouvernement et de la chefferie à tous les niveaux (voir graphique). Toutefois, les raisons de cette situation sont multiples (notamment le faible niveau d’éducation, les multiples exigences en matière de temps et les normes sociales qui découragent les femmes d’exprimer leurs opinions en public) et ne sont donc pas uniquement liées à la fiscalité.
Systèmes fiscaux et égalité des sexes
Le FMI a publié la semaine dernière un blog sur les femmes dans les budgets nationaux, qui soutient que « les taxes ne doivent pas être négligées. » Sur la base des recherches de l’ICTD, nous pensons qu’il est nécessaire d’aller plus loin, et que les taxes informelles ne doivent pas être négligées. Étant donné que des dépenses comme les frais d’utilisation et les contributions au développement communautaire ne sont pas strictement des taxes, elles sont invisibles et ne sont pas prises en compte dans les budgets et la planification des gouvernements. Cependant, elles représentent un moyen important par lequel de nombreux Africains, et les femmes en particulier, se procurent des biens et des services publics dans les vides laissés par l’État. Si nous voulons comprendre les charges fiscales réelles qui pèsent sur les hommes et les femmes en Afrique, nous devons examiner les formes d’imposition formelles et informelles. Comme l’a écrit Vanessa van den Boogaard,
« Les inégalités entre les sexes sont ancrées dans les structures sociales, politiques et économiques ; pour comprendre ces inégalités, il faut donc examiner toute la portée de ces structures, tant formelles qu’informelles. »