Alors que le projet zambien de taxe électronique sur les transferts d’argent mobile prend forme, les décideurs politiques seraient bien avisés de tenir compte des enseignements tirés par d’autres pays africains.
Compte tenu de l’augmentation significative de l’utilisation de l’argent mobile (AM) en Zambie, le gouvernement propose d’introduire une taxe sur les transferts d’argent mobile dès le 1er janvier 2024, en attendant l’approbation de l’Assemblée nationale et l’assentiment présidentiel.
L’objectif principal est de s’assurer que « chacun contribue, même modestement, à la fourniture des services publics », selon le ministre des Finances et de la Planification nationale dans son discours sur le budget 2024 en septembre. Pourtant, la taxe semble cibler les petits commerçants, lesquels constituent la majeure partie de la main-d’œuvre. Le bien-fondé des fourchettes de taux n’est pas non plus connu et de nombreuses incertitudes subsistent quant à la portée de la taxe.
La structure à 8 niveaux de la taxe proposée par la Zambie
La taxe proposée par la Zambie a suscité l’attention en raison de l’accent mis sur les transferts d’argent mobile entre particuliers et de sa structure de redevance à huit niveaux basée sur la valeur de la transaction (tableau 1).
Tableau 1. Taux de prélèvement proposés par la Zambie pour les transferts d’argent mobile
La structure complexe et déroutante des taux de prélèvement
Les taux de prélèvement proposés semblent relativement modestes par rapport aux taxes sur les services financiers numériques d’autres pays africains, mais leur justification n’est pas claire. Il est important de savoir si les variations des fourchettes de taux s’alignent sur l’objectif politique de la taxe, et de comprendre leur impact potentiel sur les différents types de transactions et sur la répartition de la charge fiscale.
En outre, la pertinence et l’importance des fourchettes supérieures sont remises en question dans le contexte zambien. Dans la pratique, quelle sera la fréquence d’application de ces fourchettes ? Et quel sera l’impact de la structure étagée sur les transferts de valeurs de transaction spécifiques ? Encouragera-t-elle ou découragera-t-elle les transactions d’une certaine valeur ? La plupart de ces tranches supérieures correspondent à des valeurs de transaction qui dépassent largement les valeurs médianes et moyennes observées dans des pays comme l’Ouganda. Les données de la Banque de Zambie pour le premier semestre 2023 révèlent une augmentation significative des paiements mobiles en Zambie (Figure 1), et une évolution notable vers des montants de transaction plus élevés. La taxe tiendra-t-elle compte de cette évolution et est-il possible de l’ajuster en fonction de l’évolution des modes d’utilisation ?
Figure 1. Volume et valeur des paiements par l’argent mobile en Zambie : janvier 2021 – juin 2023 (ZMW = kwacha zambien)
Source : les données proviennent de Bank of Zambia, Payment Systems Statistics, Mobile Money (Banque de Zambie, Statistiques sur les systèmes de paiement, Argent mobile).
Si les frais individuels peuvent sembler modestes pris isolément, le coût cumulé de plusieurs transactions peut devenir important, ce qui risque d’affecter les personnes à faible revenu.
Dans le cadre de la structure tarifaire à plusieurs niveaux, le coût relatif diminue généralement à mesure que la valeur de la transaction augmente, à l’exception de deux tranches consécutives, à savoir celles qui s’étendent de 300 à 500 ZMW (14,02 à 23,37 USD) et de 500 à)1 000 ZMW (23,37 à 46,75 USD). À l’intérieur de ces fourchettes, le coût relatif augmente au fur et à mesure que la valeur de la transaction augmente (Figure 2).
Figure 2. Coût de la taxe proposée en pourcentage de la valeur médiane de la transaction dans chaque tranche de taux (ZMW = kwacha zambien)
Source : Zambia’s 2024 Budget on 29 September 2023, Sec. 230 (Budget 2024 de la Zambie du 29 septembre 2023, Sec. 230). Le coût relatif de la tranche médiane a été calculé par l’auteur.
La raison d’être des huit tranches initiales semble complexe. Dans la pratique, la plupart des utilisateurs d’argent mobile se situent dans les trois premières tranches. Les personnes à faibles revenus, en particulier, ont tendance à effectuer davantage de petites transactions.
Des données empiriques spécifiques à la Zambie sont nécessaires pour comprendre l’impact des taux de prélèvement sur le comportement des utilisateurs, en particulier parmi les personnes à faibles revenus.
Des incertitudes subsistent quant au champ d’application de la taxe
Le champ d’application de la taxe proposée, qui n’en est encore qu’à ses débuts, comporte plusieurs incertitudes :
- Il n’est pas clair si la partie responsable du paiement de la taxe est l’expéditeur ou le destinataire.
- En l’absence d’exemptions claires, la taxe semble s’appliquer dès les premiers centimes d’une transaction.
- Le champ d’application précis de la taxe n’est pas défini, ce qui crée des incertitudes quant à son applicabilité à divers types de transactions, comme les transferts entre comptes d’argent mobile ou entre un compte d’argent mobile et un compte bancaire.
- Le terme « transfert » exclut notamment les dépôts et les retraits de la taxe, un facteur qui pourrait encourager la manipulation d’espèces. Un examen minutieux est nécessaire pour s’assurer que l’imposition sélective de la taxe sur les transferts ne décourage pas les gens d’utiliser l’argent mobile pour des services financiers fondamentaux.
- L’application sélective de la taxe aux transferts soulève des questions quant à sa couverture, y compris les transferts effectués par des « personnes morales » (entités commerciales) et les transactions commerciales. Cette complexité est aggravée par les tentatives antérieures de la Zambie, en 2022, de taxer l’utilisation de l’argent mobile par les entreprises, un projet qui est encore dans les limbes. Cette tentative visait à aligner les transactions d’argent mobile des entreprises sur les transactions bancaires à des fins fiscales, avec l’intention de les lier au numéro d’identification fiscale du contribuable (NIF) aux fins de contrôle par l’administration fiscale zambienne. Toutefois, les discussions sur sa mise en œuvre sont apparemment au point mort, ce qui jette le doute sur la mesure dans laquelle les transactions d’argent mobile liées aux entreprises sont soumises à l’impôt.
- L’application sélective du prélèvement – contrairement aux transferts de banque à banque non taxés – suscite des questions quant à son impact et à son équité.
Ces incertitudes appellent de nouvelles discussions et réflexions pour affiner le prélèvement proposé afin d’équilibrer la génération de revenus et l’accès équitable aux services publics essentiels. S’il est vrai que des informations complètes sont attendues avec la publication du projet de législation, le retard de sa parution est quelque peu surprenant.
La taxe proposée par la Zambie pourrait-elle faire plus de mal que de bien ?
Les commerçants informels représentent 90% de la main-d’œuvre zambienne [PDF]. La conception de la taxe pourrait décourager ces commerçants d’utiliser l’argent mobile pour leurs transactions, ce qui pourrait avoir un impact sur l’inclusion financière et la numérisation de l’économie informelle. Ce choix politique semble cibler les petits commerçants, ce qui fait peser un fardeau supplémentaire sur ceux qui sont déjà aux prises avec de tels frais.
Plusieurs acteurs du secteur, dont Debt Alliance (Alliance pour la dette), la Chambre de commerce et d’industrie de Mufulira et l’Alliance of Zambia Informal Economy Associations (L’Alliance des associations de l’économie informelle de Zambie), ont fait part de leurs inquiétudes quant à la taxe proposée, en particulier son impact potentiel sur les groupes vulnérables, notamment les bénéficiaires de transferts sociaux en espèces qui dépendent des plateformes mobiles. Même si ces bénéficiaires ne sont peut-être pas directement touchés, la préoccupation principale est l’impact indirect sur leur bien-être financier et la charge potentielle sur les personnes à faible revenu. Toutefois, en l’absence d’études factuelles accessibles au public, l’impact réel de la taxe proposée sur ces groupes et individus vulnérables reste incertain.
D’aucuns ont suggéré que le gouvernement envisage de mettre en œuvre des exemptions pour les transactions inférieures à un seuil spécifique afin de protéger les personnes économiquement vulnérables, tout en se concentrant sur les transactions de plus grande valeur. L’un des modèles dont on pourrait s’inspirer est l’e-Levy du Ghana, qui prévoit une exonération quotidienne de 100 cedi (8,51 USD) par personne.
Les principaux enseignements pour optimiser la taxation de l’argent mobile en Zambie
Afin de garantir le succès de la taxation de l’argent mobile en Zambie, les décideurs politiques devraient prendre en compte les suggestions suivantes qui se fondent sur les enseignements tirés de l’expérience d’autres pays africains :
- S’inspirer du succès de pays comme le Kenya, qui a égalisé les taux d’imposition entre les services bancaires traditionnels et les services d’argent mobile. Une taxation différentielle, telle qu’observée au Ghana, en Tanzanie et en Ouganda, pourrait entraîner une inégalité des conditions de concurrence.
- Créer une structure à plusieurs niveaux qui non seulement protège les petites transactions, mais s’aligne également sur le principe de solidarité. L’abaissement des taxes sur les petites transactions peut favoriser l’inclusion financière et alléger la charge qui pèse sur les ménages à faibles revenus. Des recherches pilotes menées au Ghana indiquent que les taxes sur l’argent mobile peuvent faire peser une charge disproportionnée sur les travailleurs du secteur informel à faibles revenus. La taxe électronique ghanéenne tente d’atténuer cet impact par des exemptions. En outre, les enseignements tirés du Kenya montrent que la taxe sur l’argent mobile peut influencer la fréquence des transactions, notamment parmi les ménages à faibles revenus et les ménages de grande taille.
- Communiquer clairement et impliquer les parties prenantes concernées, y compris les opérateurs de réseaux mobiles, les institutions financières et le public. Les expériences du Ghana, de la Tanzanie et du Cameroun soulignent l’importance d’instaurer la confiance du public par une communication transparente.
- Évaluer régulièrement la politique fiscale afin de déterminer son efficacité et d’orienter les ajustements, comme l’ont fait l’Ouganda, la Tanzanie et le Ghana. Veiller à la cohérence et à la rigueur de ces évaluations, contrairement à l’Ouganda, par exemple, où aucune évaluation n’a été effectuée depuis cinq ans.
Regarder vers l’avenir : concilier les objectifs de la taxe et les préoccupations des parties prenantes
L’introduction d’une taxe sur l’argent mobile proposée par la Zambie est une étape importante. En poursuivant cette initiative, le gouvernement doit rester ouvert aux ajustements et donner la priorité aux meilleurs intérêts de ses citoyens et de l’économie en général.
La transparence et l’orientation administrative sont primordiales, et doivent s’accompagner d’une collaboration entre le gouvernement et les entreprises de télécommunications pour concevoir des méthodes innovantes de génération de revenus tout en encourageant la croissance des entreprises.
Des stratégies de conformité améliorées destinées aux commerçants qui reçoivent des paiements via l’argent mobile [PDF] pourraient débloquer des flux de revenus supplémentaires pour le gouvernement.
Dès lors, il est essentiel de trouver un équilibre pour exploiter les avantages de l’argent mobile tout en répondant efficacement aux préoccupations soulevées par les différentes parties prenantes.
L’auteur tient à remercier Chris Wales et Martin Hearson pour leurs précieuses suggestions.