La fiscalité internationale connaît une mutation extrêmement rapide. Il est essentiel que les pays africains agissent de manière collective pour élaborer des réponses significatives. La meilleure façon d’y parvenir est de créer un forum fiscal international africain chargé d’élaborer des politiques fiscales pour les Africains, par les Africains.

 

Une maison froide pour les Africains

Depuis des décennies, le système de gouvernance fiscale internationale ne répond pas aux attentes des pays en développement. À ce jour, la gouvernance fiscale internationale a été monopolisée par l’OCDE, à l’exclusion des pays en développement. Aujourd’hui, cependant, le paysage fiscal international évolue rapidement. Il est donc devenu essentiel pour les pays en développement de participer aux discussions sur la fiscalité internationale. Il est primordial que les pays africains créent une structure africaine de gouvernance fiscale internationale au sein de l’Union africaine (UA).

Un nouveau forum

L’UA offre un cadre établi et flexible qui pourrait permettre la création d’une structure de gouvernance fiscale africaine politiquement sensible, inclusive, multilatérale et contre-hégémonique.

Pour ce faire, les 54 pays africains seraient divisés en groupes de travail au sein desquels ils décideraient des politiques fiscales, sur la base de leurs antécédents similaires. Ces groupes représenteraient le mieux leur approche et leur réponse aux questions fiscales internationales. Le Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF) jouerait un rôle consultatif auprès de tous les groupes de travail. Ce faisant, l’ATAF poursuivrait son fonctionnement habituel, mais elle serait désormais en mesure de fournir aux groupes de travail des orientations ou des modèles plus adaptés. L’ATAF pourrait par exemple, rédiger un modèle de législation concernant la taxe sur les services numériques pour la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) plutôt que pour l’ensemble du continent africain.

Une fois ces politiques décidées, les groupes de travail les présenteront à la Conférence de l’UA, à laquelle tous les États membres de l’UA participeront. La participation à la Conférence de l’UA n’aurait pas pour but d’approuver les politiques ou de prendre des décisions à leur sujet, mais plutôt de vérifier qu’elles sont cohérentes sur l’ensemble du continent. Ayant participé à tous les groupes de travail, l’ATAF pourrait, à un stade précoce, résoudre les éventuels problèmes techniques d’incohérence entre les groupes de travail.

Par exemple, si tous les groupes de travail, en adoptant des taxes sur les services numériques, n’imposent systématiquement la taxe qu’aux non-résidents tout en permettant à leurs systèmes formels d’impôt sur le revenu des sociétés d’imposer des résidents se trouvant dans une situation similaire, cela pourrait conduire à un arbitrage fiscal international. Ce sera le cas, qu’il y ait ou non des changements dans la conception de l’assiette fiscale au sein des groupes de travail.

À ce stade, le rôle de l’UA consisterait à vérifier la cohérence des politiques non fiscales. Par exemple, comment les politiques fiscales proposées affecteraient-elles les relations commerciales ou certains objectifs politiques ? La Conférence de l’UA est bien placée pour examiner ce croisement de politiques, car elle serait en mesure de veiller à ce que les politiques ne s’opposent pas les unes aux autres dans les différentes juridictions. Ainsi, l’UA pourrait élaborer des politiques cohérentes sur l’ensemble du continent qui transcenderaient la sphère fiscale.

En cas d’incohérence, les parties concernées seraient habilitées à collaborer pour trouver une solution au niveau du groupe de travail. Les pays africains devraient discuter de tous les aspects des négociations fiscales internationales au sein de ces groupes de travail régionaux.

Cela dit, certaines questions discutées permettraient à tous les aspects de la structure de gouvernance proposée de fonctionner de manière optimale. Les questions qui nécessitent une grande coordination entre les pays africains, par exemple, bénéficieraient le plus de cette structure. La question de l’adoption d’une taxe directe sur les services numériques et de la manière dont elle devrait être élaborée par les groupes de travail nécessiterait que chaque niveau de gouvernance soit efficace et que chaque aspect des discussions ait une influence directe sur le résultat.

Par ailleurs, d’autres questions nécessitant une réponse continentale uniforme et plus succincte bénéficieraient également de cette structure, mais les nuances des discussions au niveau du groupe de travail, par exemple, pourraient ne pas avoir d’incidence sur le résultat final. Par exemple, la question de savoir si les pays africains auraient intérêt à adopter le Pilier Un proposé par l’OCDE et, par conséquent, s’ils devaient l’adopter, donnerait lieu à une réponse assez uniforme et à l’échelle du continent, soit oui, soit non, lorsqu’elle serait appliquée dans le cadre de cette nouvelle structure de gouvernance. Toutefois, les raisons de cette décision seront probablement différentes d’un groupe de travail à l’autre et ces différences n’affecteront pas nécessairement la réponse décidée. Dans ce contexte, cette structure de gouvernance présente l’avantage de ne pas perdre ces nuances dans le raisonnement et de mettre l’accent, à juste titre, sur la décision finale prise à l’échelle du continent.

Modèles de groupes de travail pertinents

En raison des grandes disparités entre les pays africains, comment répartir les 54 pays africains en groupes de travail pertinents ? Pour ce faire, je propose quatre modèles.

Le premier modèle est le plus évident et consiste à diviser les pays en groupes géographiques. Cela permettrait de créer des groupes de travail composés de pays africains situés géographiquement en Afrique du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest et du Centre.

Le deuxième modèle consiste à répartir les pays africains en fonction de leur niveau de revenu, sur la base des classifications et des données mises à disposition par la Banque mondiale. Cela permettrait de créer des groupes de pays à revenu élevé, à revenu moyen supérieur, à revenu moyen inférieur et à faible revenu.

Le troisième modèle consiste à répartir les pays africains en fonction de leur indice de développement humain des Nations Unies. Enfin, le quatrième modèle consiste à répartir les pays africains selon les huit communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’UA. Ensemble, ces CER comptent 106 membres, dont certains pays se chevauchant à travers les régions. Il serait donc nécessaire que ces pays africains choisissent une CER à laquelle ils se sentent le plus affiliés.

Le quatrième modèle est peut-être le plus prometteur d’un point de vue pratique, puisqu’il permet aux structures existantes des CER en Afrique de coordonner et de fonctionner aux côtés des organes de l’UA, comme la Conférence. Il serait également logique que les membres des CER aient déjà trouvé un certain niveau d’intérêt commun qui les a rassemblés en premier lieu au sein de la CER. Il leur serait ainsi plus facile d’identifier et de s’accorder sur les politiques fiscales qui conviendraient le mieux à la région.

Enfin, il est possible d’affiner tous ces modèles en les renforçant, par exemple en tenant compte des langues communes et/ou de la culture juridique pour assurer un niveau d’homogénéité plus élevé.

Vers un nouveau système

Le système actuel de gouvernance fiscale internationale n’a pas été favorable aux pays africains. Nombreux d’entre eux ont souligné que ce système ne faisait qu’aggraver les inégalités existantes et encourager une plus grande disparité des résultats économiques. Dans le même temps, l’Afrique s’est engagée dans une démarche décisive avec l’entrée en vigueur de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine. Non seulement cet instrument est susceptible d’apporter la prospérité à l’Afrique et à ses citoyens, mais il témoigne également d’une volonté inhabituelle de la part des dirigeants africains de conjuguer leurs efforts pour atteindre collectivement un objectif commun.

En matière de fiscalité internationale, le temps est un facteur essentiel, car les décisions importantes en matière de politique fiscale mondiale sont prises rapidement. Pour que les pays africains puissent participer à cette prise de décision, il est essentiel qu’ils saisissent l’occasion de prendre leurs propres décisions. Dans cet article, j’ai proposé un moyen d’y parvenir par l’intermédiaire de l’Union africaine avec l’aide de l’ATAF.

 

Cet article est le troisième d’une série de blogs publiés à l’occasion d’une conférence de l’ICTD visant à faciliter les débats critiques sur l’avenir de la coopération multilatérale. Rejoignez le débat en vous connectant à la retransmission en direct de la conférence de l’ICTD.

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Afton Titus

Afton Titus is an Associate Professor in Commercial Law at the University of Cape Town. Her research interests include analysing the intersection of regionalism and taxation.
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