La zakat peut rapporter gros. Bien que les estimations varient, celles-ci semblent indiquer que les dépenses mondiales annuelles en termes de zakat sont supérieures au volume de l’aide au développement annuelle. Une étude menée en 2014 estimait ainsi le potentiel de la zakat distribuée au Maroc à plus de 40 milliards de MAD ce qui représente plus de trois fois le budget annuel de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH).

Il n’est donc pas surprenant que le Maroc se joigne aux Etats cherchant à « exploiter » les revenus de la zakat en créant un fonds de zakat géré par l’Etat. Le nouveau chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a déjà fait valoir que l’existence d’une « institution sérieuse » mettrait les contribuables en confiance et augmenterait le paiement de la zakat. Il proposait ainsi que ces fonds soient dédiés à l’amélioration du secteur de la santé, et plus particulièrement au traitement des maladies chroniques.

Si la plupart des pays à majorité musulmane ont déjà mis en place une sorte de fonds officiel pour la zakat auquel la contribution est soit obligatoire (Arabie saoudite, Pakistan, Malaisie), soit volontaire (Koweït, Égypte, Jordanie), l’efficacité de ces fonds publics n’est toutefois pas garantie. En effet, nos études conduites au Pakistan et en Égypte soulignent que les fonds de la zakat des deux pays sont relativement inefficaces et impopulaires. Dans les deux cas, les paiements à ces fonds sont comparativement faibles, et les préoccupations citoyennes, notamment en matière de transparence, sont importantes.

Comment le Maroc peut-il éviter ces défis ? La zakat est-elle un moyen approprié pour financer les lacunes du secteur de la santé ? Les Marocains accepteraient-ils un fonds géré par l’État ? Nous explorons ces questions sur la base de nouvelles données d’une enquête originale capturant les opinions d’un échantillon représentatif au niveau national de 1500 Marocains et Marocaines à l’automne 2020. Nous soutenons que pour qu’un fonds de zakat soit performant, l’Etat devra renforcer la confiance des citoyens et accepter la diversité des moyens par lesquels ceux-ci choisissent de donner leur zakat.

La zakat au Maroc

Seulement 11% des personnes interrogées ont déclaré avoir payé la zakat au cours de l’année précédente. Naturellement, le pourcentage de personnes ayant payé était plus élevé parmi ceux qui y étaient éligibles. Il convient toutefois de noter que nous avons remarqué une certaine confusion des répondants par rapport à leur éligibilité au paiement de la zakat.

En ce qui concerne la distribution de la Zakat, nos résultats indiquent que la plupart des Marocains distribuent leur zakat auprès de bénéficiaires avec lesquels ils ont un lien personnel, généralement les membres de leur famille, de leur voisinage ou de leur tribu et groupe de parenté. Cela est également reflété par le fait que plus d’un tiers des répondants (37%) considèrent qu’il est important de connaître personnellement les bénéficiaires de leur zakat.

Beneficiaires Zakar Maroc

Quel rôle pour l’Etat ?

Étant donné que de nombreux Marocains considèrent la zakat comme étant une obligation individuelle, dans quelle mesure seraient-ils alors ouverts à l’idée que l’État joue un rôle plus important dans son administration ?

Un premier élément prometteur pour les partisans du fonds d’Etat est que près de la moitié (45%) des Marocains interrogés-indépendamment du fait qu’ils paient effectivement la zakat ou pas- ont déclaré que l’Etat devrait assumer la responsabilité principale dans l’organisation de la zakat. Cependant, dans un même temps, un tiers de nos répondants (33%) considèrent que la responsabilité première de l’organisation de la zakat incombe aux individus eux-mêmes plutôt qu’à l’Etat. Par conséquent, et ce au moins pour une partie importante de la population, une incertitude demeure quant au choix des contribuables de la zakat d’adhérer ou non à un fonds étatique si celui-ci venait à exister.

Confiance organisation Zakat

La confiance citoyenne : un élément clé

Quel que soit le mécanisme d’institutionnalisation de la zakat qui sera choisi, une chose est sûre, la façon dont ce fonds sera géré influencera certainement la contribution des citoyens.

Nous avons demandé à notre échantillon de répondants ce qui les inciterait le plus à contribuer à un hypothétique fonds pour la zakat. Si une minorité des personnes interrogées (20 %) a souligné qu’elle ne contribuerait jamais à un fonds d’État, beaucoup d’autres ont noté qu’ils envisageraient d’y contribuer s’il y avait suffisamment de garanties contre la corruption (30%) et plus d’informations sur la façon dont les fonds collectés seront utilisés (20%). La bataille de la confiance citoyenne s’annonce donc difficile. Cela est étayé par ailleurs par d’autres éléments révélés par notre étude. Ainsi, lorsque nous avons demandé à nos répondants s’ils faisaient confiance au gouvernement pour collecter un autre paiement – en l’occurrence les impôts – la majorité n’était pas d’accord.

Facteurs incitation Zakat

Conclusions

Ces résultats suggèrent d’importantes leçons pour le fonds de zakat potentiellement prévu au Maroc. Tout d’abord, il sera crucial que tout nouveau fonds soit structuré de manière à instaurer la confiance des citoyens et à garantir transparence et responsabilité. Cela pourrait se faire par le biais de rapports détaillés, ou en donnant aux contribuables des options quant à qui bénéficiera de leurs paiements, comme cela se fait au Koweït à titre d’exemple.

Deuxièmement, il est important de reconnaître la dimension personnalisée que les individus semblent avoir vis-à-vis de leur don de zakat au Maroc. Il sera important pour les décideurs marocains de reconnaître qu’un fonds d’État, une fois établi, ne sera qu’une option parmi d’autres pour les Marocains et Marocaines souhaitant distribuer leur zakat. Certains conserveront ainsi leur préférence pour des canaux plus personnels en lesquels ils ont davantage confiance.

Outre la perception citoyenne d’un fonds de l’état pour la zakat, une question fondamentale émerge quant au rôle même de la zakat dans les finances du Maroc. Est-il approprié pour le gouvernement de combler des lacunes dans le financement de son système de santé par les revenus d’une obligation religieuse individuelle ? Une alternative évidente ici serait de se concentrer sur des réformes fiscales. Bien que la zakat présente certaines similitudes avec l’impôt sur la fortune, elle ne devrait pas se substituer à un impôt officiel, mais plutôt le compléter. De ce fait, lorsque nous avons demandé à notre échantillon de répondants si le gouvernement devait utiliser les impôts sur les plus riches afin d’améliorer les services publics, plus de 85% des répondants étaient d’accord. Cela suggère que la décision d’introduire un fonds de zakat géré par l’Etat ne devrait pas annuler la nécessité de réformes fiscales pour répondre aux besoins critiques de dépenses publiques dans le secteur de la santé et autres.

Cette tribune a d’abord été publiée par le journal économique marocain en ligne Medias24.

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Soukayna Remmal

Soukayna Remmal est chargée de recherche et communication à l'ICTD, affiliée à l'équipe fiscalité informelle . Elle est diplômée du Master en Affaires Publiques de Sciences Po Paris et du Master en Affaires Globales à la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto.

Max Gallien

Dr Max Gallien est chercheur à l'ICTD. Ses recherches sont principalement axées sur la politique des économies informelles et illégales, l'économie politique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord et les politiques de développement. Il a obtenu son doctorat à la London School of Economics. Max co-dirige avec Vanessa le programme sur la fiscalité informelle, ainsi que le programme de renforcement des capacités de l'ICTD.

Vanessa Van den Boogaard

Dr Vanessa van den Boogaard est docteur en sciences politiques à l’Université de Toronto. Son doctorat traitait du sujet de la fiscalité informelle et les relations entre l’État et la société en Sierra Leone et en République démocratique du Congo.  Elle continue de poursuivre des recherches sur ces sujets en République démocratique du Congo et en Somalie. Vanessa dirige le nouveau programme de l’ICTD sur l’engagement de la société civile dans la réforme fiscale et co-dirige également le programme de recherche sur la fiscalité informelle.

Umair Javed

Dr Umair Javed est professeur assistant en politique et sociologie à la Lahore University of Management Sciences au Pakistan. Il a obtenu son doctorat (PhD) à la London School of Economics and Political Science (LSE). Ses recherches portent sur les politiques d'accumulation ainsi que sur les relations de travail au sein de l'économie informelle du Pakistan.