Contexte

Le Maroc a entrepris en 2021 plusieurs procédures législatives visant à légaliser la production du Cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles, culminant le 15 juin 2021 par l’adoption du projet de loi N°13-21 par la chambre des représentants. Le projet de loi, porté et appuyé par une étude de faisabilité du ministère de l’Intérieur, apporte plusieurs réponses aux questions relatives aux mécanismes et conditions de production prévus, ainsi que les bénéfices socio-économiques prévus de cette légalisation. Cependant, peu d’éléments relatifs aux procédés fiscaux qui seront appliqués à cette nouvelle industrie ont été révélés pour le moment, ce qui soulève plusieurs interrogations. Quels enjeux pour la fiscalité du Cannabis au Maroc ?

Un marché mondial en expansion

Dans un marché mondial en expansion, il est établi que la légalisation du cannabis représente aujourd’hui une stratégie intéressante en termes de politiques industrielles et de politiques d’emploi. Le Canada, ainsi que plusieurs États américains ont fait la une des journaux en lançant des initiatives de légalisation depuis le début des années 2010, et des projets de loi similaires sont actuellement à l’étude dans plusieurs pays du monde. Cette « nouvelle » industrie a connu une croissance rapide, et sa valeur actuelle est estimée à plus de 13 milliards de dollars pour les États-Unis seuls.

Ce que l’on oublie très souvent dans ce contexte d’industries légalisées est que, pendant des décennies, la production de cannabis -bien qu’illicite- a constitué une part importante des exportations agricoles de plusieurs pays à revenu faible ou intermédiaire, tels que le Maroc, le Liban, l’Albanie, la Colombie, le Mexique, le Lesotho ou le Malawi. Cette industrie en croissance promet ainsi à ces pays des opportunités attrayantes. Cependant, l’accès aux marchés mondiaux et la compétitivité des productions émanant de ces pays reste à déterminer.

Les principaux défis de la taxation du cannabis

Le Maroc devrait tenir compte d’une série de défis majeurs afin de tirer parti des avantages d’un marché légal du cannabis en expansion, tout en gardant en ligne de mire l’impact socio-économique de cette réforme sur les communautés locales. Nous identifions ainsi trois défis principaux dans la conception de politiques fiscales relatives à ce secteur :

1. S’il est vrai que la légalisation de la production de cannabis crée un nouveau canal légal pour la vente et l’exportation, il est cependant erroné de penser que les marchés illégaux disparaîtront pour autant. Les acteurs qui ont traditionnellement profité des marchés illégaux, tels que les contrebandiers ou les membres des forces de sécurité, pourraient chercher des occasions de s’insérer dans la chaîne de valeur légale. Parallèlement, les chaînes de valeur illégales peuvent persister si elles représentent une option plus rentable pour les producteurs ou les exportateurs, ou si les producteurs sont contraints de continuer à approvisionner les marchés noirs. Il convient donc que la conception de nouveaux canaux de production légaux et les politiques fiscales respectives tiennent compte de ces évolutions.

2. Dans un marché mondial légal du cannabis en expansion et concurrentiel, la légalisation de la production et de l’exportation de cannabis est une question de politique industrielle. Les premiers pays en développement à se lancer dans l’aventure doivent concevoir une politique fiscale qui permette d’équilibrer les intérêts en matière de recettes nationales et les besoins d’investissements dans l’ensemble de la chaîne de valeur, afin de ne pas se laisser distancer par un marché mondial composé d’acteurs de plus en plus capitalisés. Bien que ce besoin puisse conduire certains pays en développement à envisager de fournir des incitations fiscales à des acteurs particuliers de l’industrie, il convient d’examiner attentivement la manière dont celles-ci sont réparties le long de la chaîne de valeur, et de prendre en compte les dépenses fiscales existantes dans le secteur agricole.

3. La production de cannabis est intimement liée aux questions de durabilité environnementale et sociale. D’une part, dans les régions où le cannabis est cultivé de manière plus traditionnelle, l’introduction de nouvelles variétés de cannabis a eu des répercussions sur les réserves de sol et d’eau. D’autre part, Les communautés agricoles qui dépendent depuis longtemps de la culture du cannabis pour leur subsistance ne bénéficieront pas automatiquement de cette légalisation. En effet, leur rôle dans un nouveau marché et vis-à-vis d’acteurs plus fortement capitalisés est directement déterminé par la conception du marché nouvellement légalisé. La politique fiscale a ainsi un rôle essentiel à jouer à ce niveau, car les droits de licence et les taux d’imposition pourraient représenter un obstacle important pour les acteurs nationaux. Il serait donc judicieux pour les autorités fiscales de se focaliser sur les étapes plus rentables et à plus forte intensité de capital de la chaîne de valeur afin de ne pas dresser de barrières d’entrées aux agriculteurs et cultivateurs locaux.

Conclusion

Si la perception populaire quant à la légalisation du cannabis semble être positive, les petits cultivateurs de la région du Rif ont reçu cette nouvelle avec plus d’appréhension. Leurs craintes sont multiples et leur besoin d’information est grand.

Il est important que les mesures d’application de la loi, à présent adoptée, apporte plus de précisions sur les mesures fiscales qui seront mises en place, aussi bien pour rassurer les cultivateurs que pour éclairer les zones d’ombres qui se profilent par rapport aux revenus qui résulteront de cette légalisation. Celle-ci a un potentiel important en termes d’augmentation des recettes publiques. Cependant, l’enjeu principal demeure de mobiliser ces nouvelles opportunités de revenus pour l’État tout en veillant à ajuster au mieux les procédés fiscaux aux acteurs impliqués dans la chaine de production de façon que leur imposition soit équitable.

Une chose est sûre, la réussite de cette réforme pourrait inspirer plus de pays à revenus moyens et faibles, notamment du continent africain, à entreprendre des réformes similaires.

 

Cette tribune a d’abord été publiée par le journal économique marocain en ligne Medias24.

Soukayna Remmal

Soukayna Remmal est chargée de recherche et communication à l'ICTD, affiliée à l'équipe fiscalité informelle . Elle est diplômée du Master en Affaires Publiques de Sciences Po Paris et du Master en Affaires Globales à la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto.

Max Gallien

Dr Max Gallien est chercheur à l'ICTD. Ses recherches sont principalement axées sur la politique des économies informelles et illégales, l'économie politique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord et les politiques de développement. Il a obtenu son doctorat à la London School of Economics. Max co-dirige avec Vanessa le programme sur la fiscalité informelle, ainsi que le programme de renforcement des capacités de l'ICTD.

Giovanni Occhiali

Dr Giovanni Occhiali est économiste du développement. Il est basé à l'Institut d'études du développement (IDS), où il travaille sur un certain nombre de projets liés à l'administration et à la conformité fiscales, à la fiscalité et à la gouvernance, et codirige le programme de renforcement des capacités de l'ICTD avec le Dr Max Gallien. Ses recherches portent sur l'Afrique subsaharienne et, en dehors du domaine de la fiscalité, il s'intéresse principalement à l'économie de l'énergie et aux politiques industrielles. Il est titulaire d'un doctorat de l'université de Birmingham. Avant de rejoindre l'ICTD, il a été chercheur à la Fondazione Eni Enrico Mattei et chercheur à l'Overseas Development Institute auprès de l'Autorité Nationale du Revenu au Sierra Leone.