On peut dire que la fiscalité ne peut exister sans information. Pour calculer les impôts et faire respecter la législation, les administrations fiscales ont besoin d’informations sur les activités économiques et de données sur les transactions. Des tiers, tels que les employeurs, les institutions financières et d’autres agences gouvernementales, détiennent des informations précieuses à cet effet. L’accès à ces données de tiers peut s’avérer avantageux pour l’administration fiscal en raison de :

  1. la marge extensive, où les informations fournies par des tiers peuvent être utilisées pour inscrire de nouveaux contribuables, ce qui permet d’élargir le filet fiscal ;
  2. la marge intensive, qui permet de suivre plus précisément les contribuables déjà enregistrés afin d’accroître leur niveau de conformité fiscale.

De nombreux pays, sous l’impulsion de l’Inde et du Brésil au sein du G20, investissent dans de puissants systèmes d’échange de données afin de permettre un partage automatique et transparent des données entre les gouvernements et le secteur privé. Dans ce blog, nous mettrons d’abord en lumière les enseignements tirés de la documentation existante sur le rôle des données de tiers dans le renforcement de l’administration fiscale, pour ensuite comprendre le potentiel qui s’offre aux administrations fiscales africaines.

Élargir le filet fiscal grâce à l’information

Les administrations fiscales africaines numérisent de plus en plus leurs fonctions et leurs processus en adoptant des données numérisées. Des pays comme le Nigeria, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Ghana, le Kenya et la Guinée cherchent à maximiser le potentiel des registres publics, tels que les systèmes d’identité numérique, en particulier lorsqu’il s’agit d’identifier les contribuables. Cependant, les recherches sur l’efficacité de ces systèmes sont encore parcellaires, et seuls l’Afrique du Sud et l’Ouganda ont fourni des informations à ce sujet. En effet, la synchronisation des registres des contribuables et des registres commerciaux par l’administration fiscale sud-africaine a permis d’augmenter le nombre d’enregistrements, ce qui a eu un impact sur la marge extensive, mais n’a entraîné d’augmentation significative des recettes fiscales, car le registre a été gonflé par des entreprises de petite taille, inactives ou qui ne respectaient pas les règles. Les recherches réalisées actuellement par le programme DIGITAX, du Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD), montrent que l’intégration par l’Ouganda des données d’identification dans le système d’enregistrement fiscal est une stratégie prometteuse, car elle a permis de stimuler l’enregistrement d’entités auparavant informelles et d’améliorer l’exactitude des informations de contact des contribuables. Des données similaires sur le potentiel des données d’identification à élargir le filet fiscal sont actuellement à l’étude au Ghana. Cependant, sur la base de ce travail, nous avons constaté que dans les deux pays, il reste encore beaucoup à faire pour utiliser les données d’identification dans des fonctions essentielles, telles que l’audit et le profilage, plutôt que comme un simple outil permettant d’augmenter le nombre d’enregistrements.

Contrôle de conformité

Des études menées au Danemark et aux États-Unis ont mis en évidence l’efficacité des données de tiers pour réduire l’évasion fiscale. Une étude réalisée au Danemark indique que la fraude fiscale sur les revenus déclarés par des tiers (employés dont les impôts sont retenus par leur employeur) est proche de zéro, alors que le taux de fraude fiscale sur les revenus auto-déclarés atteint 42%. Une autre étude menée aux États-Unis montre que le formulaire 1099-k, qui oblige les sociétés de traitement des paiements ou les agences de règlement à déclarer au service des impôts les paiements électroniques reçus par les entreprises, a conduit les contribuables à réagir de manière contradictoire. Les entreprises ont déclaré davantage de recettes après l’introduction du formulaire 1099-K, mais elles ont également fait état d’une augmentation des dépenses de même ampleur. Cette politique n’a entraîné qu’une modeste augmentation du respect des obligations fiscales.

Il existe également des preuves scientifiques sur les données de tiers en Inde et en Chine. En Inde, la recherche montre que depuis que les entreprises de Delhi ont été obligées de déclarer tous leurs achats et ventes avec d’autres entreprises en 2012, l’administration fiscale a pu vérifier facilement les éventuels décalages et l’impôt versé par les grossistes a augmenté de 29%. Un autre exemple de réussite est celui de la Chine avec son projet Golden Tax III qui a intégré les données fiscales et les données de tiers. Ce projet a permis la synchronisation et la vérification automatiques des données fiscales avec des informations provenant d’entités telles que les banques, les douanes, les assurances sociales et d’autres secteurs, réduisant ainsi considérablement l’évasion fiscale.

À Madagascar, une société indépendante chargée d’évaluer les marchandises importées a permis de réduire de manière significative les fraudes douanières, ce qui constitue une étude de cas intéressante en Afrique. Toutefois, l’évaluation par un tiers a un impact moindre sur les recettes lorsque les possibilités de fraude sont importantes, et donc compromises par la corruption.

Quelle est la prochaine étape en matière de données de tiers dans les systèmes fiscaux africains ?

Plusieurs administrations fiscales africaines utilisent actuellement des données de tiers provenant du PAS (Prélèvement à la source) et de la TVA, même si des problèmes de qualité des données et de cloisonnement des mentalités persistent. Des opportunités plus importantes existent lorsqu’il s’agit de partage de données interinstitutionnelles (c’est-à-dire le partage de données entre agences gouvernementales) telles que les autorités nationales d’identification, les bureaux d’enregistrement des entreprises et les gouvernements infranationaux. Un potentiel similaire s’applique aux données du secteur privé, telles que les institutions financières, les sociétés de télécommunications et les agences immobilières. Ceci étant, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour libérer tout le potentiel de ces données :

  1. Accès aux données et contexte réglementaire. Des obstacles majeurs – à la fois juridiques et institutionnels/politiques – au partage de données de tiers ont empêché d’en tirer pleinement parti. L’accès aux données du secteur privé, en particulier, est fortement limité par des réglementations très strictes et par la résistance de l’industrie. Il est donc essentiel d’en permettre l’accès par le biais de réglementations appropriées.
  2. Limites techniques. Les administrations fiscales et les autres institutions ne disposent souvent pas de l’infrastructure numérique nécessaire pour garantir un partage transparent des données. En outre, les données partagées peuvent être obsolètes, inexactes ou incohérentes. Il s’avère donc nécessaire de mettre en place des systèmes plus solides garantissant le partage automatique de données actualisées et exactes.
  3. Capacité administrative. Les données de tiers ne servent à rien si elles ne sont pas utilisées de manière stratégique. D’une part, des compétences et des ressources adéquates sont nécessaires pour tirer le meilleur parti de ces données et, d’autre part, il convient d’améliorer les capacités d’application afin de tirer parti des avantages liés à l’accès à un plus grand nombre de données.
  4. Réactions comportementales. Les contribuables pourraient réagir de manière négative à la plus grande disponibilité des données, comme c’est le cas pour toute autre intervention technologique. Dès lors, Il est essentiel d’identifier, de prévoir et de façonner le comportement des contribuables.
  5. Préoccupations en matière de protection de la vie privée. Dans des contextes moins démocratiques, les risques d’utilisation abusive de données sensibles sont élevés. Tout potentiel de partage de données peut être éclipsé à la fois par le mécontentement social et les défis juridiques.

Les systèmes d’échange de données sont un élément de base de la révolution de l’infrastructure publique numérique. Leur capacité à renforcer les gouvernements africains est considérable, même si elle n’est encore que partiellement exploitée. En identifiant et en ciblant d’abord les obstacles décrits ci-dessus, les administrations fiscales africaines pourraient concevoir des stratégies globales permettant un meilleur partage des données, une meilleure utilisation de ces données et, finalement, de meilleurs résultats.

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Fabrizio Santoro

Dr Fabrizio Santoro est basé à l’Institute of Development Studies, où il travaille en tant que chargé de recherche des études empiriques sur la conformité fiscale au Rwanda, en Eswatini et en Ouganda, ainsi que sur la fiscalité informelle en Somalie. Is est le chercheur principal pour le deuxieme composant du programme DIGITAX de l'ICTD.

Lucia Rossel

Lucia Rossel est une consultante à l'ICTD et enseignante à l’Universidad del Desarrollo à Santiago du Chili. Elle a obtenu son doctorat en économie à Utrecht University, aux Pays-Bas,