La règle d’assujettissement à l’impôt (RAI) est une disposition d’une convention fiscale qui autorise les pays d’origine à imposer un surplus fiscal sur certains paiements si le bénéficiaire est soumis à un faible niveau d’imposition dans sa juridiction de résidence. La RAI vise notamment à éviter la double non-imposition. Bien que le concept ne soit pas complètement nouveau et que certaines conventions plus anciennes comportent déjà de telles clauses, les RAI ont récemment suscité beaucoup d’intérêt.
Lors de sa 26e session en mars 2023, le Comité d’experts des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale (UNTC) a approuvé une RAI qui sera incluse dans la prochaine version du Modèle de convention des Nations Unies. Dans le même temps, le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS a rendu publique sa propre RAI et un instrument multilatéral pour l’application de celle-ci dans les conventions, dans le cadre du « Pilier Deux » de son paquet à deux piliers.
Les pays ont maintenant quatre possibilités : ils peuvent choisir entre les deux versions d’une RAI proposées par le Comité ou le Cadre inclusif, élaborer des versions adaptées à différentes conventions, ou n’en choisir pas du tout. En outre, les pays qui ont déjà une clause d’assujettissement à l’impôt dans leurs conventions doivent décider de la conserver ou de la remplacer par une des clauses élaborées récemment par le Comité et le Cadre inclusif.
Ce blog compare les deux clauses et examine les options politiques du point de vue des pays qui souhaitent préserver les droits d’imposition à la source. Notre analyse montre que la RAI du Comité présente plus d’avantages en matière de production de recettes et de facilité d’administration, tandis que la RAI du Pilier Deux présente l’avantage de l’engagement pris par les membres du CI d’accepter son inclusion dans les conventions actuelles conclues avec les pays en développement.
Principales différences entre la RAI du Comité et celle du Pilier Deux
La différence entre la RAI du Comité et celle du Pilier Deux est évidente : l’article du Comité est rédigé en un paragraphe d’une demi-page seulement, tandis que la RAI du Pilier Deux comprend six pages. Cette différence est liée au fait que la RAI du Pilier Deux contient un certain nombre de définitions et de dispositions détaillées qui limitent l’application de la règle à certains types de paiements, de situations et de contribuables.
1. Analyse de la RAI du Pilier Deux
Premièrement, elle fixe à 9 % le taux nominal de l’impôt sur les sociétés en deçà duquel les revenus sont considérés comme faiblement imposés et la RAI « entre en vigueur » (sous réserve de satisfaire à d’autres conditions, voir ci-dessous). En outre, elle stipule qu’un pays d’origine peut prélever la différence entre 9 % et le taux nominal. Ce dernier fait référence au taux prélevé sur le type spécifique de revenu perçu, en tenant compte des taux préférentiels et autres « ajustements permanents » qui aboutissent à un taux inférieur.
Deuxièmement, la RAI du Pilier Deux exclut de son champ d’application les dividendes, les plus-values, les bénéfices d’expédition et les autres bénéfices commerciaux, mais inclut les intérêts, les redevances et, notamment, les services, l’assurance, la réassurance et les paiements pour l’utilisation d’équipements. Ces derniers ne seraient souvent imposables que dans l’État de résidence conformément aux conventions actuelles (en particulier les services qui ne sont pas qualifiés de « techniques »). En outre, la règle comporte plusieurs exclusions personnelles garantissant que seuls les paiements entre entreprises liées sont concernés. Ainsi, certains services tels que les « services numériques automatisés » ou le transport aérien sont automatiquement exclus, puisqu’ils sont rarement réalisés par des entités liées. En conséquence, le nombre de services non-« techniques » entrant réellement dans le champ d’application n’est pas clairement défini.
Troisièmement, deux exclusions supplémentaires limitent encore l’applicabilité de la règle :
- un seuil de matérialité, qui exclut les paiements inférieurs à 1 million d’euros (250 000 euros dans les pays dont le PIB est inférieur à 40 milliards de dollars US) ; et
- un seuil de majoration, qui limite l’application de la RAI aux revenus autres que les intérêts et les redevances si le montant est supérieur aux coûts directs et indirects encourus par l’entreprise percevant les revenus, majorés de 8,5 % de ces coûts.
L’OCDE justifie ces exclusions par le souci d’éviter la surimposition de paiements qui ne présentent pas de risques d’érosion de la base d’imposition. La règle a toutefois essuyé des critiques, en raison de son champ d’application étroit et de sa complexité administrative. En plus de déterminer si un paiement est effectué à une entreprise faiblement imposée, les administrations fiscales doivent vérifier si les deux entités sont liées et si l’entreprise étrangère qui reçoit le paiement attribue correctement les coûts pour le calcul du seuil de majoration. Un autre inconvénient pour les administrations des pays à faible revenu est que la RAI du Pilier Deux ne peut être appliquée que par le biais d’une évaluation après l’exercice financier, et non par un mécanisme de retenue.
2. Analyse de la RAI du Comité
La RAI du Comité est élaborée pour s’appliquer de manière générale à tous les types de revenus. Cependant, elle ne fixe pas de taux minimum. Il revient donc aux États de s’accorder sur une base bilatérale. Lorsqu’il est établi que les revenus sont imposés en dessous du minimum convenu dans le pays destinataire, l’État d’origine est libre d’appliquer son propre taux d’imposition à ces revenus. La RAI ne dispose pas non plus d’exemptions, mais elle prévoit des espaces réservés qui permettent aux pays de préciser ces aspects dans le cadre de négociations bilatérales. Le commentaire qui l’accompagne indique qu’une minorité de membres du Comité préférerait une règle au champ d’application plus restreint, similaire à la RAI du Pilier Deux, mais qu’une majorité pense que le champ d’application devrait être plus étendu.
Il convient de noter que certains pays ont intégré des RAI par le passé, comme dans les conventions entre le Ghana et le Danemark (protocole) ou entre l’île Maurice et l’Allemagne (article 4). Ces conventions tendent à être plus étroites dans la mesure où elles ne concernent que les contribuables qui bénéficient de régimes préférentiels spécifiques. Cependant, elles entraînent des conséquences plus sévères puisque tous les avantages qu’elles présentent ne profitent pas aux entités qui entrent dans le champ d’application de la RAI.
Considérations politiques
Même si la RAI du Comité est plus étendue, la RAI du Pilier Deux pourrait être plus efficace dans la sauvegarde des droits d’imposition à la source, car elle serait plus facile à mettre en œuvre dans les conventions actuelles. C’est du moins ce qu’affirme l’OCDE.
Il y a tout de même quelques mérites à cette affirmation : les membres du Cadre inclusif ont convenu que ceux d’entre eux qui appliquent des régimes fiscaux dont les taux d’imposition nominaux sont inférieurs à 9 % pour les types de revenus couverts sont tenus d’appliquer la RAI du Pilier Deux si d’autres membres à faible revenu le leur demandent. Ainsi, les pays pourront sans doute introduire la RAI du Pilier Deux sans avoir à faire d’autres concessions.
En revanche, il peut être plus difficile d’introduire une autre RAI, étant donné qu’un pays partenaire peut calculer à l’avance le coût approximatif de l’inclusion de la disposition avec un taux donné et un champ d’application donné pour ses entreprises multinationales résidentes (EMN) et éventuellement exiger d’autres concessions en retour. Même si la RAI du Comité a été incluse dans l’instrument accéléré des Nations Unies proposé, ce qui peut faciliter sa mise en œuvre, il n’existe pas d’accord multilatéral similaire sur son introduction et plusieurs aspects de son élaboration restent ouverts à des négociations bilatérales.
Cet engagement des membres du Cadre inclusif, tel que mentionné ci-dessus, est cependant sujet à diverses interprétations. Par exemple, la référence aux « types de revenus couverts » suggère que des dispositions telles que les régimes fiscaux des brevets ou des sièges sociaux dont les taux sont inférieurs à 9 % sont incluses. Cependant, il n’est pas certain que les exonérations fiscales temporaires, les réductions d’impôts pour des zones géographiques spécifiques ou d’autres dispositions entraînant un « ajustement permanent » du taux d’imposition (c’est-à-dire pour lesquelles la RAI s’appliquerait une fois introduite) soient couvertes.
La RAI en vaut-elle la peine ?
Un rapport du FMI publié en début d’année 2023 a évalué l’impact de la RAI du Pilier Deux sur les recettes fiscales comme étant faible, étant donné que la plupart des conventions signées par les pays en développement prévoient déjà des retenues à la source supérieures à 9 % pour les intérêts et les redevances. Néanmoins, la RAI pourrait toujours être utile pour les paiements de services en l’absence de l’article 12A dans une convention et pour les paiements liés à l’utilisation d’équipements qui ne sont pas toujours inclus dans la définition des redevances. Le champ d’application beaucoup plus large de la version de l’ONU signifie qu’elle aurait un impact plus important, mais cela dépend de la possibilité de persuader les pays de l’adopter, ou d’exercer une pression sur eux pour qu’ils le fassent.
Par ailleurs, toute RAI encourage les pays de résidence à « absorber » l’impôt prélevé par le pays d’origine au titre de la RAI, en augmentant leur taux d’imposition nominal sur les paiements relevant du champ d’application de la RAI. Dans ce cas, une RAI ne se traduirait pas directement par des recettes supplémentaires pour le pays d’origine. Cependant, cela encouragerait les entreprises à ne plus recourir aux juridictions intermédiaires et à payer directement des entités basées dans d’autres juridictions, pour lesquelles le pays d’origine pourrait disposer de droits d’imposition à la source plus élevés. En outre, la prévention de la double non-imposition par le biais d’une RAI (quel que soit le pays qui finit par prélever l’impôt) pourrait également contribuer à réduire les avantages concurrentiels des entreprises étrangères par rapport aux entreprises nationales.
Quelques considérations politiques dans le choix de la RAI
Pour décider s’il convient d’appliquer la RAI et laquelle, les pays doivent évaluer minutieusement l’ensemble des conventions. Ils doivent également tenir compte des conventions conclues avec des pays qui font office de centres d’investissement ou qui ont des régimes fiscaux spécifiques à faible taux d’imposition utilisés pour les investissements mobiles à l’échelle internationale.
Dans les conventions fondées sur les versions les plus récentes du Modèle de convention des Nations Unies et qui prévoient des retenues suffisamment importantes à la source, il se peut qu’une RAI ne soit pas nécessaire. Quant aux autres conventions existantes et à celles qui viennent d’être négociées, une analyse plus approfondie est nécessaire. En outre, pour les conventions qui ne prévoient pas l’imposition des services à la source, une RAI peut s’avérer utile.
Il est généralement recommandé d’inclure une RAI plus robuste, mais simple à administrer, fondée sur le Modèle des Nations Unies. Toutefois, si un pays partenaire réclame une baisse des droits d’imposition à la source « primaires » (par exemple, des retenues à la source plus faible) en échange de l’introduction d’une RAI élargie, il serait préférable de préserver ces droits d’imposition primaires. Dans ce cas, la RAI du Pilier Deux peut être la meilleure option.