La semaine dernière, 138 membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ont publié une Déclaration de résultat sur la solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Le Pilier Deux prévoit un impôt minimum mondial sur les revenus des grandes entreprises multinationales afin de minimiser la concurrence fiscale et le transfert de bénéfices. Une fois adoptée, les entreprises multinationales opérant dans son ressort seront tenues de payer un impôt sur les sociétés d’au moins 15 % dans chaque juridiction où elles exercent leurs activités. L’OCDE estime que cette nouvelle taxe augmentera les recettes mondiales annuelles d’environ 220 milliards USD, soit 9 % des recettes mondiales de l’impôt sur le revenu des sociétés.

Limites juridiques

Les recettes au titre du Pilier Deux profiteront-elles aux pays en développement ? La réponse est non dans bien des cas. L’une des principales raisons est que ces pays sont soumis à des accords internationaux, des termes de contrats privés et des lois nationales qui les empêchent souvent de supprimer les incitations fiscales promises aux investisseurs.

Une telle situation constitue un problème majeur, car 100 des 138 pays énumérés dans l’accord sur le Cadre inclusif de l’OCDE sont classés par la Banque mondiale et la CNUCED dans la catégorie des pays en développement. Ces pays se caractérisent par les réalités suivantes :

  • Ils nécessitent d’importants investissements directs étrangers (IDE) pour faciliter le développement des infrastructures et des ressources ;
  • Ils ont mis en place des incitations fiscales pour encourager les IDE ; et
  • Ils ont conclu des accords d’investissement ou de commerce, ou des contrats privés qui limitent leur capacité à modifier les lois ou politiques fiscales nationales.

Par exemple, de nombreux pays en développement ont conclu des accords fiscaux pour de grands projets d’investissement, soit par le biais de dispositions spéciales prévues par leur législation nationale, soit dans le cadre de contrats d’investissement conclus avec des investisseurs étrangers. Ces accords contiennent souvent des incitations fiscales, y compris des exonérations, qui sont protégées par des clauses de stabilisation fiscale et par des traités d’investissement. Généralement, ces accords gèlent les mesures fiscales applicables, empêchant ainsi toute modification susceptible d’avoir une incidence sur un projet d’investissement existant, du moins pendant une période déterminée.

Lorsqu’un pays en développement conclut un accord qui garantit la protection des investisseurs, toute tentative de collecte d’impôt au titre du Pilier Deux peut constituer une violation de l’accord. Cela pourrait également entraîner un arbitrage international coûteux pour le pays.

Dans le cas où le pays en développement ne collecte pas l’impôt minimum proposé, le Pilier Deux prévoit que le pays d’origine de la société mère doit le faire, et que le pays d’origine peut conserver l’impôt collecté.

Marge de manœuvre limitée

Les traités bilatéraux d’investissement (TBI) constituent l’un des types d’accords les plus courants pour attirer les investissements étrangers. Ces accords sont négociés entre les gouvernements, et ils offrent aux investisseurs des garanties et protections importantes, telles qu’un traitement juste et équitable. Plus important encore, les TBI prévoient généralement un mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et le pays d’accueil par le biais d’un arbitrage international indépendant.

En 2022, plus de 2 500 traités bilatéraux d’investissement étaient en vigueur dans le monde, et la majorité d’entre eux impliquaient des pays en développement. Beaucoup de ces traités contiennent des clauses qui empêchent le pays hôte d’imposer un impôt minimum de 15 % sans violer le TBI et mettre en jeu les droits de l’investisseur. De nombreuses études révèlent que l’utilisation de clauses de stabilisation dans les TBI avec les pays en développement est très répandue, en particulier dans les pays non membres de l’OCDE.

L’impôt au titre du Pilier Deux sera perçu, par conséquent, dans la juridiction d’origine de la société mère. Pour le pays en développement, cela se résulte à la fois par la perte de l’avantage lié à l’octroi de l’incitation fiscale et la perte des recettes fiscales relevant du Pilier Deux.

Il est vrai que tous les TBI ne sont pas les mêmes et ne prévoient pas les mêmes droits pour les investisseurs. Certains, notamment ceux conclus avec des pays développés, prévoient également des exemptions fiscales. Cependant, il est évident que les investisseurs sont de plus en plus nombreux à porter plainte contre les pays en développement au sujet des mesures fiscales prévues par les TBI. Cela se traduit par des contestations au titre des clauses parapluies (qui garantissent la protection des accords de stabilisation fiscale), ou de plaintes plus générales, accusant le pays hôte de violer ses obligations en matière de traitement juste et équitable ou d’exproprier les actifs de l’investisseur. Ces obligations prévues par les traités offrent une large possibilité à un organe d’arbitrage international d’examiner un nouvel impôt au titre du Pilier Deux. Il existe également d’autres obligations découlant des TBI qu’un pays peut violer s’il cherche à modifier les conditions sur lesquelles l’investisseur s’est appuyé pour prendre la décision d’investir.

Pertes à court terme, gains à long terme ?

Même si, sur le long terme, un impôt minimum mondial devrait augmenter les recettes fiscales de tous les pays et mettre un terme à ce que beaucoup considèrent comme une concurrence fiscale déloyale, à court terme, le Pilier Deux augmentera les recettes fiscales dans les pays où sont basées les sociétés mères des multinationales. Il supprimera également l’avantage des incitations fiscales accordées par les pays en développement. Pour ces pays, cela semble être la pire des issues possibles.

Le Pilier Deux est-il équitable ?

La réponse à cette question serait peut-être plus simple si le gouvernement du pays où est basée la société mère étrangère acceptait de restituer l’impôt supplémentaire exceptionnel qu’il perçoit au titre du Pilier Deux à un pays en développement qui n’est pas légalement autorisé à le percevoir à la source. Cependant, le gouvernement du pays où est basée la société mère envisagerait-il jamais une telle mesure ? La motivation politique actuelle pour la signature du Pilier Deux semble reposer de manière globale sur les millions qui viendront s’ajouter aux recettes fiscales des pays développés. L’aide étrangère aux pays en développement n’a pas été citée comme une utilisation potentielle des fonds exceptionnels.

Dans le même temps, l’intérêt porté à la question du Pilier Deux et des TBI dans le monde semble faible, et seules quelques organisations telles que la CNUCED ont reconnu qu’ils posent un problème potentiel. L’une des raisons de cette situation est peut-être que ce problème n’affecte pas l’Union européenne, qui a mis fin à ses TBI intra-européens en 2020. Ainsi, le conflit potentiel entre l’imposition au titre du Pilier Deux et les plus de 2 500 TBI restants n’aurait donc que peu d’impact pour l’UE.

Malheureusement, dans l’état actuel des choses, de nombreux gouvernements s’empressent d’appliquer leur législation nationale sans pour autant disposer d’un véritable plan pour remédier à l’incapacité des pays en développement à collecter des impôts au titre du Pilier Deux.

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Catherine Brown

Catherine Brown is a Professor of law at the University of Calgary. Shas been a Visiting Professor at the University of Toronto, the Institute of Southeast Asian Studies (Singapore), a Fulbright Fellow and Visiting Professor at Stanford University, Scholar in Residence at McGeorge School of Law, University of the Pacific, the Distinguished Visiting Professor of Law at Whittier Law School, and a Visiting Professor at UCLA. She has taught in the area of taxation throughout the bulk of her career, including Corporate Tax, Taxation & Estate Planning, and International Tax. Her current research explores the interaction of tax and trade agreements in regulating tax discrimination.
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