La mobilisation des ressources intérieures (fiscalité, droits de douanes, etc.) est reconnue comme le mode de financement du développement le plus durable. Pour les pays à faibles revenus, ce mode de financement est d’autant plus important aujourd’hui, dans un contexte de réduction de l’aide au développement.
Or, un système fiscal efficace repose entre autres sur une collecte équitable et durable des recettes. Cela implique de s’interroger sur qui paie, combien, et dans quelles conditions, car payer l’impôt ne se résume pas à une simple transaction économique, c’est avant tout une relation entre citoyen·nes et Etat. Il est donc essentiel de veiller à ce que la charge fiscale et le traitement réservé aux contribuables – femmes ou hommes – soient équitables et perçus comme tels afin de renforcer la confiance entre l’Etat et les citoyen·nes et in fine pour un Etat d’avoir les capacités de se financer.
Le document préparatoire de la 4ème Conférence Internationale sur le Financement du Développement qui se tiendra en Espagne cet été souligne l’importance de promouvoir une « fiscalité sensible au genre » et de soutenir « les méthodologies et les outils permettant de concevoir, suivre et évaluer les politiques fiscales et budgétaires sous le prisme du genre ». Si la thématique genre et fiscalité bénéficie aujourd’hui d’une attention nouvelle, elle est en réalité débattue depuis plus de 30 ans.
Genre et fiscalité, des débats anciens, en perpétuel renouvellement
Dans tous les pays du monde, les contribuables femmes et hommes n’ont pas les mêmes habitudes de consommation, les mêmes rôles sociaux, les mêmes niveaux, ni les mêmes types de revenus – les femmes ayant en moyennes des revenus plus faibles que les hommes tout au long de leur vie. Ces différences font qu’un système fiscal qui s’applique à toutes et tous uniformément créera nécessairement des inégalités de traitement en fonction du genre du contribuable. C’est ce que Janet Stotsky a intitulé dans les années 90 les biais de genre implicites, en les distinguant des biais de genre explicites, qui, quant à eux, sont des dispositions fiscales s’appliquant spécifiquement à la femme ou à l’homme. Ce cadre d’analyse est encore utilisé aujourd’hui par les Ministères des Finances, les administrations fiscales et douanières, le monde académique et les partenaires au développement (organisations internationales, bailleurs de fond, organisation de la société civile, etc.).
Depuis les années 90, de nombreux biais de genre explicites ont été supprimés des codes généraux des impôts, car ils sont facilement identifiables et souvent en décalage avec la réalité des structures familiales actuelles. En revanche, les débats sur les biais implicites ont continué à faire couler beaucoup d’encre. Ces biais sont plus difficiles à identifier car leur détection nécessite souvent des analyses d’incidence fiscale approfondies que les administrations fiscales ou les instituts de statistiques ne sont pas capable de mener, faute de données sexo-spécifiques sur les contribuables.
Si le cadre développé par Stotsky a été utile pour visibiliser le sujet du genre en fiscalité, il présente aujourd’hui des faiblesses majeures pour poursuivre la conversation. Notamment le fait que les biais implicites ou explicites n’examinent que la politique fiscale – c’est-à-dire la loi – sans prendre en compte son application concrète par les agents de l’administration.
Quels leviers d’action sur l’égalité de genre pour les administrations fiscales et douanières ?
Quatre leviers d’action peuvent être identifiés :
1. La production de données sexo-spécifiques :
Ces administrations sont chargées de produire des données sur les contribuables. Or, il est crucial de disposer de données sexo-spécifiques pour identifier et approfondir l’analyse des inégalités de genre en matière de fiscalité, mais également pour les autres secteurs.
2. L’accessibilité des services aux contribuables
Les femmes font face à des obstacles spécifiques dans l’accès à l’information (langue, outils numériques, alphabétisation fiscale) et, plus généralement, à l’utilisation des services destinés aux contribuables. Les administrations fiscales et douanières doivent donc adapter les modalités de délivrance de ces services pour garantir l’égalité d’accès.
3. Les interactions avec les opérateur·rices du secteur informel
Dans les pays à faible revenu, plus de 92 % des femmes travaillent dans le secteur informel.
Contrairement aux idées reçues, ces opératrices contribuent également à financer l’action publique, et les enjeux d’inégalités de genre les concernent tout autant. La manière dont les administrations fiscales et douanières interagissent avec les acteur·rices de ce secteur devraient les encourager à se formaliser et non l’inverse. Cela signifie que les administrations fiscales ont un rôle important à jouer dans la décision du contribuable de se formaliser, et particulièrement pour les contribuables femmes.
4. L’égalité au sein des administrations fiscales et douanières elles-mêmes
La sous-représentation des femmes aux postes à responsabilité, et plus généralement parmi les agents fiscaux, limite la diversité des perspectives et peut nuire à la performance de ces administrations. Une gouvernance plus égalitaire pourrait favoriser l’équité dans les services délivrés aux contribuables.
Des outils d’évaluation sur l’égalité de genre pour les administrations fiscales et douanières
C’est dans ce contexte que plusieurs outils d’évaluation ont été développés par des organisations internationales pour accompagner les administrations fiscales et douanières à intégrer les enjeux de genre dans leur fonctionnement interne et leur relation aux contribuables.
- En 2013, l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) a lancé son Outil d’Evaluation de l’Egalité des Genres dans les Organisations (GEOAT).
- En 2021, le PNUD a lancé le Sceau de l’Egalité de Genre, ciblant les institutions publiques et particulièrement les administrations fiscales et les Ministères des Finances depuis 2023.
- En novembre 2024, l’OCDE a publié un nouveau modèle de maturité en matière d’équilibre des genres destiné aux administrations fiscales et douanières.
Si ces outils d’analyse constituent une avancée notable, nous avons encore peu de recul sur leur réel impact dans les administrations fiscales et douanières, et particulièrement dans les pays à faible revenu. Comment sont-ils mis en œuvre par les agents des administrations fiscales et douanières ? Débouchent-ils sur des plans d’actions qui permettent effectivement à ces administrations de rendre les systèmes fiscaux plus équitables du point de vue du genre ? Explorer ces questions constitue un sujet de recherche important que je compte étudier dans ma thèse dans les années à venir.