Le sixième rapport d’évaluation du GIEC, publié le mois dernier, est le plus récent appel à la décarbonisation de l’économie mondiale si l’on veut éviter les pires excès de la crise climatique. Cette dernière est une réalité en Afrique subsaharienne où les inondations et les sécheresses auront certainement des effets dévastateurs.

Les taxes sur le carbone — des prélèvements imposés sur la teneur en carbone des combustibles fossiles — peuvent et doivent jouer un rôle crucial dans la réduction des émissions de GES qui sont à l’origine de cette crise. Des universitaires s’accordent à dire que les taxes sur le carbone devraient être rapidement introduites aussi bien dans les pays à revenu élevé que dans les pays à faible revenu afin de réduire les émissions et de générer des recettes, facteur essentiel dans les pays à faible revenu touchés par la COVID-19.

Pourtant, à y regarder de plus près, les taxes sur le carbone ne sont peut-être pas les solutions « vertes » que préconisent les universitaires, surtout dans certains des pays les plus pauvres du monde.

Les taxes sur le carbone ont besoin d’empreintes carbone

Appliquer des taxes sur le carbone suppose qu’il y ait du carbone à taxer, cependant l’empreinte carbone de l’Afrique subsaharienne est très faible. L’Afrique ne représente que 3,8 % des émissions mondiales, dont une grande partie provient d’Afrique du Nord et d’Afrique du Sud, elle-même 14e émetteur mondial de GES.

Depuis toujours, les émissions de l’Afrique proviennent de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF), plutôt que des combustibles fossiles. En d’autres termes, les émissions de carbone sont principalement dues au défrichement des terres pour l’expansion de l’agriculture, ainsi qu’à la déforestation, aux incendies et à la dégradation des forêts, autant de facteurs qui réduisent la quantité de carbone que les écosystèmes peuvent absorber dans l’atmosphère.

Par ailleurs, les ménages à faible revenu satisfont leurs besoins énergétiques avec du bois de chauffage et du charbon de bois, les compagnies d’électricité publiques sont déjà criblées de dettes et les subventions aux combustibles augmentent la consommation de certains de ces combustibles.

En outre, l’accès à l’énergie et sa consommation sont très inégalement répartis sur le continent, l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud utilisant les trois quarts de l’énergie du continent.

L’absence de marchés régionaux de l’énergie, qui empêche les consommateurs de passer à des combustibles plus propres, limite l’impact des effets de prix.

De plus, les émissions de carbone du secteur de l’énergie n’ont cessé d’augmenter en Afrique subsaharienne, notamment dans le secteur des transports, qui est responsable de la plupart des nouvelles émissions régionales de GES (voir la Figure 1).

Les décideurs africains en matière de politique fiscale doivent donc faire très attention à la manière dont ils répartissent les taxes sur le carbone afin d’éviter toute conséquence environnementale et financière imprévue. Malgré le fait que les taxes soient prélevées sur les combustibles au moment de l’extraction ou de l’importation, la charge fiscale est principalement ressentie par le consommateur final. Bien que gênante, cette situation pourrait également rendre les taxes sur le carbone plus efficaces, car leur effet dépend des changements de comportement des consommateurs.

Figure 1. Évolution des émissions de GES en Afrique par secteur 1990 — 2016 (%) — Banque africaine de développement, 2020

Figure 1
figure 1 evolution des emissions de GES en Afrique par secteur

Augmenter les prix de l’énergie et diminuer la couverture forestière ?

L’introduction des taxes sur le carbone en Afrique subsaharienne s’avère compliquée en raison du fait que 83 % de la population utilise des sources de combustibles traditionnels comme le bois et le charbon de bois pour la cuisson. En 2019, l’Agence internationale de l’énergie a estimé le nombre de personnes n’ayant pas accès à des combustibles de cuisson modernes à environ 900 millions, et celles n’ayant pas accès à l’électricité à environ 600 millions.

Cette dépendance à la biomasse favorise la déforestation et, en rendant les autres combustibles plus chers, les taxes sur le carbone risquent de rendre le bois de chauffage plus attrayant. Selon les estimations, 90 % du bois extrait des forêts et des zones boisées africaines est utilisé comme combustible. Le manque d’« énergie moderne » pour la cuisson contribue de manière significative aux émissions de GES, tant par son impact sur la déforestation que par l’émission de méthane pendant le processus de combustion.

Les prix exorbitants des combustibles dites « modernes » tels que le gaz et l’électricité constituent un obstacle important à leur adoption. Les taxes sur le carbone, qui pourraient les rendre plus coûteuses, pourraient finir par pousser davantage de personnes à utiliser la biomasse. En ce qui concerne les combustibles de cuisson des ménages, la solution pour réduire les émissions de GES en Afrique consiste à augmenter — et non à diminuer — la consommation de combustibles fossiles, car les réchauds au GPL sont beaucoup plus écologiques que ceux au charbon de bois.

Recettes issues du carbone ou dette carbone ?

Les taxes sur le carbone ont été suggérées comme une opportunité de financer la production d’électricité supplémentaire en Afrique subsaharienne. Toutefois, les ministères des Finances doivent également tenir compte de la situation financière désastreuse des compagnies d’électricité de la région.

Une étude menée en 2016 par la Banque Mondiale a révélé que sur 39 compagnies d’électricité africaines, seules deux étaient en mesure de récupérer à la fois les dépenses d’investissement et d’exploitation. Avec 47 % de la capacité installée de la région provenant du gaz naturel, du diesel et du mazout, les taxes sur le carbone représenteraient une charge financière importante pour les services publics africains.

Bien sûr, les services publics pourraient répercuter les coûts imposés par la taxe carbone sur les consommateurs, mais étant donné la très faible discipline de paiement sur le continent, il est peu probable que cette stratégie soit couronnée de succès. Une taxe sur le carbone pourrait ne pas générer beaucoup de recettes, car les États africains devraient probablement intervenir pour couvrir le déficit financier de leurs services publics — une situation connue sous le nom de « déficit quasi-budgétaire ». Étant donné le niveau déjà élevé de certains de ces déficits (voir Tableau 1), l’effet net pourrait même être négatif.

Tableau 1. Déficits quasi-budgétaires dans les services publics de l’Afrique subsaharienne — Banque mondiale, 2016

Appliquer la taxe carbone avec prudence

Les taxes sur le carbone sont considérées à juste titre comme un instrument puissant pour réduire les émissions et soutenir une transition écologique. Pourtant, la plupart de ce que nous savons sur leur fonctionnement proviennent des marchés de l’énergie des pays à revenu élevé, qui sont une mauvaise représentation des contextes des pays d’Afrique subsaharienne.

Une application inadéquate des taxes sur le carbone dans ces contextes pourrait créer autant de problèmes que ceux qu’elles étaient censées résoudre : plus de difficultés pour les services publics et davantage de déforestation, les consommateurs devant être confrontés à des prix plus élevés pour l’électricité et le gaz. Cependant, si elles sont appliquées de façon adéquate, les taxes sur le carbone offrent une opportunité pour les transitions vertes en Afrique sub-saharienne.

Les taxes sur le carbone offrent également une chance pour la justice fiscale africaine. Dans le cadre du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, qui doit entrer en vigueur en 2023, les nations africaines sont exposées au risque de taxes supplémentaires sur les exportations riches en carbone. Ainsi, bien que le débat soit toujours en cours, certains éléments indiquent déjà que cette politique pourrait avoir un impact dans certains pays d’Afrique subsaharienne.

En gardant tout cela à l’esprit, les décideurs africains en matière de politique fiscale devraient sérieusement étudier les opportunités que représentent les taxes sur le carbone, tout en étant conscients de leur puissance de feu limitée.

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Giovanni Occhiali

Dr Giovanni Occhiali est économiste du développement. Il est basé à l'Institut d'études du développement (IDS), où il travaille sur un certain nombre de projets liés à l'administration et à la conformité fiscales, à la fiscalité et à la gouvernance, et codirige le programme de renforcement des capacités de l'ICTD avec le Dr Max Gallien. Ses recherches portent sur l'Afrique subsaharienne et, en dehors du domaine de la fiscalité, il s'intéresse principalement à l'économie de l'énergie et aux politiques industrielles. Il est titulaire d'un doctorat de l'université de Birmingham. Avant de rejoindre l'ICTD, il a été chercheur à la Fondazione Eni Enrico Mattei et chercheur à l'Overseas Development Institute auprès de l'Autorité Nationale du Revenu au Sierra Leone.

Diana Szpotowicz

Diana est responsable de la communication du Centre International pour la Fiscalité et le Développement, basée à l’Institute of Development Studies. Ses publications portent sur l’anthropologie du développement, le changement climatique, l’agriculture durable, la conservation de l’environnement, le gaspillage alimentaire, les petits exploitants agricoles, les connaissances indigènes et la pollution plastique. Elle est titulaire d’un MSc en anthropologie et gestion du développement de la London School of Economics and Political Science et d’une licence en journalisme, avec mention, de l’Université Carleton au Canada.

Charlie Lawrie

Charles Lawrie s’intéresse à la fiscalité environnementale, à l’économie politique du changement climatique et à l’élaboration des politiques en matière de changement climatique dans les pays en développement. Il est actuellement consultant en recherche à l’ICTD, où il travaille sur la fiscalité environnementale dans les pays à faible revenu aux côtés du Dr Giovanni Occhiali. Charlie a travaillé pour des organisations telles que le Foreign and Commonwealth Office, Inter Mediate, et Triangle, un groupe de réflexion libanais, pour lequel il a conçu et dirigé des recherches sur le terrain au Liban et en Syrie. Il est diplômé en économie de la Johns Hopkins School of Advanced International Studies et en études du Moyen-Orient de l’Université de Cambridge. Charlie est sur le point de commencer un doctorat à l’Université du Sussex, où il étudiera le rôle que jouent les idées dans l’élaboration des politiques en matière de changement climatique dans les États arabes.