Le recouvrement fiscal est en baisse dans le monde. Les gouvernements ont annulé ou reporté certains prélèvements fiscaux dans le but de soutenir les économies et de maintenir la solvabilité des entreprises. L’employabilité, le commerce et les bénéfices étant en baisse, les possibilités de percevoir l’impôt sur le revenu et les bénéfices, la TVA et les droits d’accise et d’importation diminuent également. Au moins pour les deux prochaines années, de nombreux gouvernements dépenseront beaucoup plus qu’ils ne l’avaient prévu, et collecteront moins de recettes. La plupart de ces gouvernements accumulent des dettes dont les montants rappellent ceux de la période des grandes guerres.

Ces gouvernements auront du mal à réduire leurs déficits en diminuant les dépenses publiques. Les entreprises, quant à elles, auront toujours besoin de soutien et de garanties financières, et le chômage restera probablement élevé. Des dépenses sociales supplémentaires seront donc nécessaires pour faire face à la crise. Ainsi, la pandémie aura réussi, de toute évidence, à entraîner une augmentation importante, bien que souvent insuffisante, de l’aide financière directe aux pauvres et aux personnes vulnérables. Une réduction de ces aides dans un avenir proche sera moralement inacceptable et politiquement très difficile.

Les gouvernements devront donc collecter davantage de taxes. Mais que devraient-ils taxer ? Et comment devraient-ils expliquer leurs choix afin d’obtenir le soutien de leurs citoyens ? Ces décisions tiendront bien sûr compte des circonstances nationales, mais les défis sont identiques d’un pays à l’autre. L’adoption d’une approche commune pourrait améliorer considérablement les chances de tirer parti de la crise.

Quels sont donc les dangers ?

L’importance d’une vision convaincante de la fiscalité future apparaît lorsque l’on envisage une alternative. Quelle est la menace ? Les gouvernements de l’après-crise chercheront à lever des fonds au moment où de nombreuses entreprises ont fait faillite et d’autres restent fragiles, et où de nombreuses personnes sont au chômage ou doivent faire face à une baisse de leurs revenus. L’un des risques est que la collecte de recettes se révèlera trop difficile sur le plan politique, ce qui entraînera une spirale de déficits, une réduction des services à l’avenir et une incapacité à répondre de manière adéquate aux besoins immédiats. L’autre risque est que des exigences fiscales plus strictes pourraient déclencher un violent conflit politique entre les groupes d’intérêts qui se sentent menacés et qui jouissent d’une considération particulière. Les entreprises à faibles bénéfices et à fortes dettes lutteront contre toute augmentation de l’impôt sur les bénéfices. Les augmentations de la TVA ou de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sont susceptibles de susciter une opposition farouche. Cette forme de politique de solidarité qui a émergé dans de nombreux pays au cours des premières semaines de la crise pourrait rapidement disparaître une fois que l’on commencera par sérieusement discuter des entités qui paieront les factures des gouvernements.

Quelles sont les opportunités qui peuvent en découler ?

Il existe des moyens de collecter les recettes nécessaires pour payer ces factures, ce qui permettrait de conserver ces politiques de solidarité, d’obtenir le soutien du public et de contribuer à résoudre certains des problèmes plus larges auxquels l’humanité est confrontée. Les trois principes qui sous-tendent notre proposition de programme fiscal sont les suivants :

  1. Les 50% (voire 80%) des ménages les plus pauvres ne devraient pas avoir à payer plus.
  2. Une grande partie de la charge fiscale supplémentaire devrait peser sur la fortune — ou sur les entités ayant échappé à la difficulté économique pendant la crise.
  3. Les plans sur la fiscalité doivent être porteurs d’une vision d’avenir, conçus non seulement pour augmenter les recettes, mais aussi pour résoudre d’autres problèmes majeurs de société.

Quels devraient alors être les éléments clés d’une riposte ?

Premièrement, il faudra taxer la fortune. C’est sur ce point que se concentrera l’administration fiscale sud-africaine. À l’échelle mondiale, la richesse s’accumule depuis des décennies auprès d’une minorité de personnes. Même le Fonds monétaire international a mis en garde contre les conséquences économiques et politiques négatives. L’imposition de la fortune n’aura que peu ou pas d’effet négatif sur les incitations à investir et à innover, et les impôts sur les revenus générés par la fortune peuvent subir une augmentation. Les droits de succession, quant à eux, ont connu une baisse pendant des décennies. Par ailleurs, les efforts visant à dénicher d’énormes quantités de richesses cachées peuvent être intensifiés, au niveau national et international. Dans les pays pauvres en particulier, les taxes foncières sont largement sous-utilisées et pourraient subir une augmentation assez rapidement.

Deuxièmement, là où les revenus des particuliers et des entreprises fortunés sont restés inchangés — ou ont subi une augmentation — en raison de la crise, il faudra ajouter des surtaxes temporaires à leurs impôts. Le FMI (télécharger ici) et l’OCDE ont approuvé ces idées, que le FMI qualifie de « surtaxes de solidarité ». Elles reflètent une logique politique simple : face à une crise mondiale, nous devrions tous en partager les frais.

Troisièmement, la crise a accéléré le passage des interactions en face à face aux interactions virtuelles. Ceci augmentera encore les bénéfices de la plupart des grandes plateformes technologiques (principalement américaines et chinoises) qui tirent profit de solides effets de réseau. Avant la crise, ces plateformes étaient connues pour leur capacité à éviter les taxes. Aujourd’hui, il s’avère plus important de trouver de meilleurs moyens de les taxer — et de taxer les transactions numériques en général.

Quatrièmement, il faudra renforcer les taxes pour lutter contre le changement climatique. Il est grand temps d’imposer de sérieuses taxes sur les émissions de carbone et autres polluants nuisibles. Et ces taxes peuvent être directement créées pour générer de nouvelles recettes pour les gouvernements tout en minimisant les coûts pour les ménages ou les entreprises plus vulnérables, grâce à des rabais ou d’autres aides. La Covid-19 nous a permis d’entrevoir un ciel moins pollué, et il serait impardonnable de manquer cette opportunité.

Enfin, il faut combler les déficits aux entreprises. Ce n’est pas le moment de procéder à une augmentation générale des taxes, mais c’est un moment opportun pour faire face à des pertes fiscales manifestement dysfonctionnelles. La déductibilité fiscale des paiements d’intérêts, qui encourage les entreprises à dépendre davantage de l’endettement que du financement par capitaux propres, en est un exemple. Ce dernier entraîne à son tour un surendettement et accentue l’instabilité financière. Le gouvernement américain a déjà pris les devants, en fixant des limites à la déductibilité en 2017. Un autre déficit se crée par des exonérations fiscales opaques aux investisseurs, qui sont davantage motivées par la politique et la corruption que par la stratégie économique. Ces genres d’exonérations sont particulièrement fréquents dans les pays à faible revenu, où elles absorbent une part importante des recettes fiscales potentielles. Un bon ajustement profiterait à presque tout le monde. Plus généralement, il est temps de conclure un « nouvel accord » sur la fiscalité internationale qui simplifie les règles internationales et renforce la coopération, de manière à inclure les pays en développement — et qui évite de fragmenter davantage le système fiscal international.

La fiscalité revêt toujours un caractère très politique. Les politiques autour de la réponse fiscale à la pandémie pourraient bientôt devenir conflictuelles, et rendre difficile une action publique constructive. Il est temps d’adopter un discours fiscal ferme et commun sur nos intérêts humains collectifs face à la menace, appuyé par un menu approprié de politiques fiscales.

Ressources utiles à consulter :

Bulletin politique : À quoi pourrait ressembler un programme d’imposition équitable ?

Document de tavail : Comment les gouvernements de pays à faible revenu peuvent-ils augmenter leurs recettes fiscales ?

Bulletin politique : Taxation des individus ayant un patrimoine net important : Leçons tirées de l’expérience des autorités fiscales de l’Ouganda

Bulletin politique : Négociation sur les taxes professionnelles à l’OCDE : enjeux pour les pays en développement en 2020 ?

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Mick Moore

Mick Moore is a Professorial Fellow at the Institute of Development Studies and the founding CEO of the International Centre for Tax and Development. He is a political economist whose broad research interests are in the domestic and international dimensions of good and bad governance in poor countries, focusing specifically on taxation in Asia and Africa.

Wilson Prichard

Wilson Prichard is an Associate Professor at the University of Toronto, a Research Fellow at the Institute of Development Studies, and Chief Executive Officer of the International Centre for Tax and Development. His research focuses on the relationship between taxation and citizen demands for improved governance in sub-Saharan Africa.