Les principes d’action : Administrations Fiscales et Chercheurs

Dans le passé, les chercheurs universitaires et les fiscalistes ne collaboraient que rarement de près sur des projets de recherche en Afrique. Les fiscalistes avaient le sentiment que les universitaires n’étaient intéressés par l’accès à leurs données que pour pouvoir écrire des articles souvent trop abstraits ou théoriques pour être utiles à l’administration fiscale, tandis que les chercheurs avaient l’impression que les fiscalistes n’accordaient que peu d’intérêt à la recherche rigoureuse ou n’avaient pas la volonté de partager les grandes quantités de données administratives en leur possession.

Cependant, une coopération resserrée entre les administrations fiscales et les chercheurs présente de grands avantages potentiels. La récente expérience menée par l’ICTD en matière de recherche en partenariat avec les autorités fiscales africaines a montré que cette collaboration peut permettre à la fois d’approfondir les connaissances académiques sur les problématiques fiscales et de produire des informations plus pertinentes en vue de l’élaboration des politiques. En se basant sur ces expériences, l’ICTD et les autorités fiscales de l’Ouganda (URA) ont développé une série de principes directeurs, qui ont depuis été adoptés par le Forum africain sur l’Administration Fiscale.

1. Protocole d’accord

a) Les deux parties auront, dans une certaine mesure, des intérêts différents, des objectifs différents, des façons différentes de travailler et des attentes différentes. Pour réduire la probabilité de malentendus majeurs, il est recommandé que les parties a) signent un protocole d’accord avant le début des recherches et b) s’engagent à solutionner tout différent de manière ouverte et dans un esprit de coopération.

b) Une collaboration avec des chercheurs externes peut éventuellement nécessiter un investissement non négligeable en ressources humaines, notamment dans la préparation des données et le suivi d’un calendrier de recherches. Ces exigences pourraient interférer avec les missions courantes de l’administration fiscale. Le facteur temporel peut avoir une importance majeure lors de recherches, particulièrement quand il s’agit d’expérimentations fiscales. Le non-respect de ces obligations rendra souvent les plans de recherche invalides. Il est donc important que (a) les devoirs du personnel de l’administration fiscale au sujet des recherches soient clairement définis à l’avance et que (b) les fonctionnaires en charge au sein de l’administration fiscale s’assurent que ces obligations soient respectées.

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2. Protection des données

Chaque partie a le devoir de s’assurer de la confidentialité absolue des données des contribuables. Ce, à différents niveaux :
a) Toutes les données provenant directement des registres de l’administration fiscale doivent être rendues anonymes avant d’être fournies aux chercheurs.

b) Ces données restent la propriété de l’administration fiscale. Si d’autres chercheurs veulent s’en servir, ils ne doivent y avoir accès que via les autorités fiscales, avec une permission écrite. Les chercheurs ne doivent pas – et ne doivent pas être sollicités à – partager les données avec d’autres chercheurs sans le consentement de l’administration fiscale.

c) Si les chercheurs rassemblent des données en provenance directe d’autres sources, y compris de contribuables eux-mêmes, au cours de recherches en collaboration avec des autorités fiscales, les critères de propriété de ces données devront être négociées au cas par cas.

d) Les administrations fiscales ont l’obligation générale de rendre publiques les macro-données sur la collecte des recettes et son efficacité. Autant que possible, ceci devrait être précis, détaillé et à jour et donc potentiellement utile à des fins de recherche. Les autorités fiscales devraient expliquer publiquement les catégories et les procédures qu’ils utilisent pour rassembler et présenter des données des recettes et avertir le public des erreurs possibles ou des sources de malentendu.

3. Travail en collaboration

Les recherches sont susceptibles d’être accueillies avec plus d’enthousiasme au sein des administrations fiscales et d’avoir un impact sur la politique si le personnel de l’administration fiscale en est à l’initiative ou est étroitement impliqué dans la conception et la mise en œuvre de ces recherches. Ceci implique, entre autres:

a) l’utilisation d’un vocabulaire simple et non technique dans les discussions, la conception et les comptes-rendus des recherches.

b) les administrations fiscales doivent assigner du personnel qui sera en charge des engagements pris avec les chercheurs externes, au sujet des recherches elles-mêmes mais également pour assurer le lien entre les chercheurs et d’autres personnels de l’administration fiscale. Le personnel en charge de ces tâches doit bénéficier de suffisamment de temps et des ressources additionnelles nécessaires.

c) le personnel d’administration fiscale choisi pour participer aux recherches doit être dûment qualifié, avoir l’expérience requise et être motivé. Si les chercheurs parviennent à démontrer de façon indubitable qu’un personnel délégué ne convient pas, la direction devra organiser un remplacement par quelqu’un de plus approprié.

an ICTD researcher working at a laptop with an official from the Uganda Revenue Authority

4. Développement des compétences

Les chercheurs doivent s’attendre à rendre la pareille en contribuant à renforcer les compétences du personnel de l’administration fiscale. Le développement des compétences pourra prendre beaucoup de formes, y compris : une formation pratique sur la façon de concevoir et de conduire des projets de recherche ; une formation en statistiques ou autres formes d’analyses de données ; ou une expérience pratique dans la participation à la synthèse et à la diffusion de résultats de recherches, particulièrement à destination d’un public en charge de l’élaboration des politiques. Les fiscalistes ne doivent pas uniquement être responsables de fournir des données, mais doivent être impliqués, de manière globale, dans toutes les étapes de la recherche.

5. Contrôles et comptes-rendus

Les chercheurs, et peut-être aussi leurs financeurs, doivent pouvoir suivre les résultats de leur travail. Le personnel de l’administration fiscale rattaché aux projets de recherche doit être chargé de faire un rapport sur l’adoption de nouvelles politiques et sur ses résultats après l’achèvement de la recherche. Les détails peuvent être négociés au cas par cas.

 

6. Propriété intellectuelle

a) Les données administratives et les documents de référence (rapports et documents rassemblés pendant le projet de recherche collaboratif) utilisés dans chaque collaboration doivent rester la propriété de l’administration fiscale. De manière générale, l’administration fiscale doit rester propriétaire de tout document produit entièrement par l’administration fiscale ou par son personnel.

b) Les chercheurs, identifiés comme les auteurs des documents concernés, doivent en conserver la propriété intellectuelle, y compris celle des rapports et des publications résultant de leur travail.

c) L’administration fiscale devrait se voir accorder un droit d’usage mondial, non exclusif, irrévocable et libre de redevance sur tous les documents et les droits de propriété intellectuelle qui y sont liés, y compris la reproduction et la vente de ces documents et des produits les incorporant à l’usage de n’importe quelle personne ou à la vente ou toute autre opération n’importe où dans le monde.

d) Si l’administration fiscale prend en charge la publication ou la distribution des documents directement ou via tiers, les auteurs de chaque production spécifique comme des publications ou des rapports seront dûment reconnus.

7. Travail en co-auteur

Le personnel de l’administration fiscale impliqué dans la réalisation des recherches devra être reconnu dans chaque publication issue de la collaboration. Le principe général, particulièrement pertinent pour les publications universitaires, est que tout travail associé à un projet de recherche, y compris le travail de rassemblement et de préparation des données, doit être reconnu en tant qu’auteur ou via une reconnaissance claire dans le document. Les auteurs doivent être impliqués dans toutes les parties de la recherche, y compris la conception, la mise en œuvre, l’analyse et l’élaboration des productions. Le personnel impliqué dans une partie spécifique de la recherche, par exemple accorder l’accès aux données ou autres activités de support spécifiques, recevra une reconnaissance claire dans les productions. Ceci permet d’accroître la motivation à être investi dans toutes les étapes de la recherche!

8. Publication et Diffusion

a) Les chercheurs rédigent habituellement les résultats de recherche pour la publication universitaire. Ils doivent par ailleurs s’engager à écrire et diffuser les conclusions pour d’autres publics, non-universitaires. Le même travail de recherche peut être récapitulé et diffusé de plusieurs façons différentes. Au minimum, les chercheurs doivent produire un bref résumé des implications politiques de chaque travail de recherche qui soit (1) accessible au personnel de l’administration fiscale avec qui ils ont travaillé et au Ministère des Finances correspondant et (2) produit dans les langues nationales/officielles appropriées. De tels résumés doivent contenir les avertissements adéquats sur les limites possibles de la recherche et des recommandations en termes de politiques.

b) Le chercheur peut publier les statistiques issues des données à condition qu’elles soient dans une forme qui ne permette aucune identification et qui soient regroupées. Le chercheur consentira à ne divulguer aucune donnée à qui que ce soit – personne ou entité – autre que ses officiers, directeurs, agents, représentants ou conseillers devant passer en revue les données pour un approfondissement de l’étude.

c) Chaque publication des rapports ou des statistiques incluront une clause de non-responsabilité selon laquelle les vues présentées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les vues de l’administration fiscale.

d) L’administration fiscale peut demander une période d’embargo avant qu’une étude basée sur les données de l’administration fiscale puisse être publiée, par exemple quand une étude touche à une réforme à venir ou à un changement de politique qui peut contenir des informations sensibles qui ne devraient pas être divulguées avant qu’une décision politique n’ait été prise. Une période d’embargo standard n’excédera pas 6 mois. Des périodes plus longues peuvent être négociées avec les chercheurs au cas par cas.

9. Contrôle de la Conformité

Le responsable du département de recherche au sein de l’administration fiscale et le chercheur seront conjointement responsables de contrôler la conformité avec les principes ci-dessus et de s’assurer qu’il y a une efficience et une efficacité dans la coordination et l’échange d’informations entre les deux parties.